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Entretien avec Pierre Joly à la Fondation pour la Recherche Médicale


M. Bungener, J-F Picard, 20 février 2019, texte revu et amendé par le témoin, juin 2019
 (source : https://histrecmed.fr/temoignages-et-biographies/temoignages)

Joly P
De G à Dr., J-L Mandel, le ministre X. Bertrand et P. Joly à la FRM (Recherche et Santé, 10 mars 2006)

Voir aussi : P. Joly, 'La recherche médicale, une passion française', Le Cherche Midi, 2019


La Fondation pour la recherche médicale (FRM)


A l’origine, une association pour la recherche médicale

L’histoire de la Fondation pour la recherche médicale commence au lendemain de la guerre pour relancer la recherche médicale à l’échelon national et à celui des particuliers. Comme on le sait seul le CNRS avait vraiment survécu au chaos de la guerre et de l’occupation. En effet, quelques jeunes professeurs agrégés, comme Jean Bernard, Jean Hamburger, René Fauvert et d’autres grands médecins plus âgés comme Louis Pasteur-Valléry-Radot ou Robert Debré, créèrent un petit groupe qu’ils allaient appeler « le club des treize » pour échanger sur les progrès nécessaires de la médecine de l’époque et la relance de la recherche médicale mise à mal par le conflit. Ils faisaient les couloirs des ministères, mais l’Etat avait à faire face à des nécessités immédiates comme la reconstruction de certaines villes et de certains ponts détruits sans parler des approvisionnements alimentaires (les cartes d’alimentation n’allaient disparaitre quand 1949 !). Au cours de leurs études, ces grands praticiens avaient souvent séjourné aux Etats-Unis où l’aide privée contribuait fortement à la recherche médicale américaine. En attendant l’intervention de l’Etat, pourquoi ne pas faire appel aux particuliers français ? Dès 1946, ils eurent ainsi l’idée de créer une « Association pour le développement de la recherche médicale française » (ADRMF). Les statuts furent enregistrés en janvier 1947. Curieusement, l’initiative a rapidement bénéficié d’une large audience nationale :la bonne société, le monde politique (Edouard Herriot par exemple ), mais aussi le Conseil d’Etat, le monde de l’entreprise, le CNPF (l’ancêtre du Medef)...


… financée par la vente de café brésilien

L’un des premiers financement significatif de l’ADRMF est dû à Louis Pasteur-Valléry-Radot, le patron de Jean Hamburger. En effet la médecine française jouissait d’une grande réputation dans le monde, notamment en Amérique du sud. PVR comme on l’appelait alors avait été invité à donner des cours au Brésil. Y aller relevait de l’exploit en moyens et en temps, tant les transports étaient encore rudimentaires ! Les brésiliens lui ont demandé le montant de ses honoraires. Ils n’obtinrent aucun échos de PVR. Alors sachant que la France souffrait de nombreuses pénuries, ils lui proposèrent de lui acheminer quelques tonnes de café vert jusqu’au port du Havre. Ainsi fut fait ; sauf que les douanes émettaient des réserves et que les services du rationnement voulaient s’en emparer. Grâce à ses relations, PVR réussit à récupérer son café pour le faire vendre aux enchères au profit de l’ADRMF dans le cadre de la Fondation Salomon de Rothschild. Le pactole obtenu constituait le premier budget vraiment important de l’Association. Il permit de soutenir de grandes recherches médicales.


En 1962, l’association devient la Fondation pour la recherche médicale française

Jean Bernard et Jean Hamburger ont beaucoup œuvré pour la création de cette Fondation. Jean Hamburger était l’archétype du grand patron créatif. Voyez ses écrits remarquables d’anticipation Discuter avec lui était quelque chose d’unique. Mais c’était aussi un insatisfait. Il lui fallait toujours aller plus avant et plus vite. Ce n’était pas un homme de compromis. De son coté, Jean Bernard était à la fois souple et courtois sachant cacher ses raideurs. C’était un visionnaire aussi. C’est l’arrivée du docteur Escoffier-Lambiotte qui les décida à transformer l’Association en une Fondation. Claudine Escoffier-Lambiotte d’origine belge avait poursuivi des études médicales de très grandes qualités . C’était une personnalité exceptionnelle. Journaliste au Monde, elle a vraiment créer le journalisme médical moderne. La recherche médicale fut une passion qui l’habita jusqu’à sa mort. Pour souligner l’importance des dons vis-à-vis des chercheurs elle écrivit dans le journal 'Le Monde' :

« L’exemple de l’étranger montre que l’aide privée est, pour la recherche médicale, tout aussi nécessaire que l’effort national; elle permet une souplesse et une rapidité d’attribution et de distribution des crédits difficilement concevables dans un cadre officiel et sans lesquelles les travaux entrepris risquent de végéter dans un conformisme étriqué. Elle favorise l’audace, l’épanouissement des valeurs originales ou isolées et l’introduction, en marge des « plans d’actions concertées » (alors lancés par la Délégation générale à la recherche scientifique), d’une conception scientifique humaniste et libérale si étroitement inhérente aux travaux qui ne concernent après tout, que l’homme et sa lutte solitaire contre la souffrance et la maladie. De plus, l’aide privée représente pour les chercheurs un puissant stimulant psychologique, car ils s’enorgueillissent à juste titre de la confiance que leur accorde une communauté, un village, un groupe industriel. enfin, elle est le véritable ferment sans lequel l’effort national risque de s’endormir ou d’être dépassé, et c’est bien souvent l’initiative privée que l’on rencontre à la source de réalisations hospitalières ou scientifiques aux développements incalculables » (Le Monde, 5 mai 1962)


Le docteur Escoffier-Lambiotte

Quelques années plus tard lorsque j'en ai pris la présidence (1993), la FRM créa deux prix remis chaque année. L’un pour récompenser le journaliste qui s’était le mieux exprimé auprès du grand public au plan de la recherche médicale, l’autre pour récompenser le scientifique qui disposait des mêmes capacités d’expression. Les deux premiers sélectionnés par un jury composé de scientifiques et de patrons de presse furent Claudine Escoffier-Lambiotte et Jean Bernard. Lors de la remise des prix au Sénat, je me souviens que la joie de Jean Bernard m'avait étonné. Il avait répondu avec humour : « Vous savez, j’ai beaucoup plus remis de prix tout au long de ma carrière que finalement j’en ai reçus ! » Ce grand médecin était également un homme d’esprit. Dans sa réponse à cette remise de prix, il ajouta devant l’auditoire que ce prix lui semblait d’autant plus justifié que la veille il avait rencontré dans les couloirs de l’hôpital un couple de parents dont l’enfant présentait désormais un pronostic très favorable. Ils avaient tenu à le saluer pour lui exprimer leur reconnaissance, ajoutant : «Hier soir nous vous avons vu à la télévision. Vous avez été très bien ! On n’a rien compris, mais c’était très bien ! ». Quant à Claudine Escoffier-Lambiotte qui à vrai dire a beaucoup fumé, elle s’était levée de son lit d’hôpital pour venir recevoir son prix. Elle est venue au Sénat malgré sa très grande faiblesse. A la fin de la cérémonie, je lui a proposé de la faire raccompagner à l’hôpital. Elle refusa tout net et attendit le départ du dernier invité ! Elle est décédée le lendemain de son cancer… J'ajoute que cela faisait longtemps que nous nous connaissions. C’est sans doute la raison qui l’avait amenée à me proposer avec Jean Bernard la présidence de la FRM. Elle possédait à la fois une intelligence, un courage, une dialectique efficace et un caractère très affirmé hors du commun. .J’ai un jour assisté à une joute de dames entre elle et une autre journaliste aussi éloquente qu’elle. Je regardais les balles passer à une vitesse extraordinaire. Impressionnant ! Claudine Escoffier-Lambiotte était une grande Dame. Jusqu’à la fin, elle a voulu garder ses fonctions de secrétaire générale de la Fondation. Son assistante lui apportait ses dossiers sur son lit d’hôpital. Quand vous avez la chance de côtoyer des personnalités de cette qualité, vous ne pouvez qu’être admiratif et plein de confiance dans l’humanité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces deux prix portent désormais le nom de Claudine Escoffier-Lambiotte et de Jean Bernard.


La Fondation s’installe rue de Varenne

Lors de sa création, l’ADRMF fut abritée par la « Domus Medica », Boulevard de La Tour-Maubourg à Paris. Puis, son importance allant grandissante elle s’installa Rue de Lisbonne.

En 1986, le Président de la FRM était Jacques de Fouchier, un grand banquier (Compagnie Bancaire…). Jean Hamburger et Jean Bernard faisaient une forte pression sur lui pour que la FRM crée une 'Maison de la Recherche' comme il en existait en Grande-Bretagne, en Allemagne. C'est-à-dire un lieu qui serait mis à la disposition des chercheurs comme lieu de rencontre. A la même époque un collaborateur de sa banque demande un entretien à Jacques de Fouchier, "ils ont un bien immobilier à vendre qu’ils n’arrivent pas à placer". C’était un petit immeuble, 54 rue de Varenne, appartenant à l’Archevêché de Paris qui héberge la congrégation de la Sainte Enfance. Cette congrégation apportait son soutien à l’enfance malheureuse grâce, en particulier, à la vente du papier d’argent qui enveloppait le chocolat avant la guerre. Je me souviens encore avoir fait de ces petites boulettes qui étaient ensuite acheminées jusqu’à la congrégation. Qu’elles qu’en soient les raisons, l’existence de la congrégation ne se justifiait plus en 1985 (Il est vrai de dire qu’entre temps le papier enveloppant le chocolat étant devenu d’aluminium avait perdu de sa valeur marchande). L’évêque « in partibus » responsable de la congrégation avait été chargé de mener à bien les négociations de vente. Jacques de Fouchier lui demande une entrevue et vient le rencontrer 54 rue de Varenne pour comprendre les raisons qui font qu’aucun des vingt dossiers soumis n’ait été agréés. L’évêque finit par concéder qu’il ne voulait pas «...que l’on fasse commerce dans ces lieux ». De Fouchier lui fit remarquer que ces locaux étaient bien trop petits pour une ambassade tentée par la proximité de Matignon et bien trop chers pour un particulier obligé à des travaux considérables pour le transformer en lieu d’habitation. N’arrivant pas à convaincre son interlocuteur, l’idée lui vint que la FRM était bien à l’étroit dans ses locaux d'alors et qu’après tout on pourrait peut-être réserver le rez-de-chaussée pour cette maison de la recherche à laquelle Jean Bernard et Jean Hamburger étaient attachés. Il proposa donc la candidature de la FRM en soulignant que ses moyens étaient modestes.  
« Mais fait-elle commerce ?  demande le prélat,
- bien sur que non répond de Fouchier, d’ailleurs ses statuts le lui interdisent".
L’évêque donne son accord pour étudier cette proposition et deux jours plus tard, le dossier était porté 54 rue de Varenne. Huit jours, pas de nouvelles. De Fouchier rappelle son interlocuteur. Celui-ci est d’accord sur le principe de la cession, il a cependant une restriction à émettre et le Président de la FRM, inquiet, demande à être reçu immédiatement pour s’entendre dire : « Vous pouvez comprendre que je sois créationniste. Or il ya un de vos savants (Jacques Monod) qui vient d’écrire un ouvrage totalement évolutionniste (Le Hasard et la Nécessité). J’entends qu’il ne soit jamais fait l’apologie des oeuvres de ce savant dans ces lieux ! » De Fouchier dû donc prendre cet engagement et le stipuler dans le compromis de vente, mais voilà certainement le plus beau placement fait par la FRM ! Cette dernière a tenu parole et n’a pas fait l’apologie du livre de Monod et les pr. Bernard et Hamburger ont pu installer leur 'Maison de la Recherche'.


Dans quelles circonstances devenez-vous président de la FRM ?

Quand je suis arrivé dans cette maison en 1993, je fus d’abord impressionné par l’héritage recueilli, une structure solide établie avec le temps par de très grands médecins scientifiques aussi visionnaires que compétents, entièrement dévoués à la recherche médicale, appliquant avec rigueur l’éthique qui avait été imposée à la FRM dès sa fondation en 1947.

Mais je me trouvais également confronté à l’affaire Crozemarie dont les comportements avaient mis à mal le rôle important le l’Association de la recherche sur le cancer (ARC), ce qui avait provoqué une crise de confiance des donateurs vis-à-vis des actions humanitaires en général. Mes impressions premières ne pouvaient que m’encourager à participer de toutes mes forces à cette formidable aventure qui est celle de la recherche médicale. En revanche, il fallait que je trouve pour la FRM une structure qui garantisse la confiance des donateurs, tout en perpétuant l’éthique de la Fondation. Je fis d’abord une surprenante constatation. En effet, la loi de 1901 sur les associations confère au président un pouvoir quasiment sans partage; ce qui n’a pas grande importance pour les petites associations, mais qui n’est pas raisonnable quand on est placé à l'interface entre tout le tissu des chercheurs médicaux et le grand-public. L’affaire Crozemarie en était la malheureuse illustration. Lorsque vous êtes président d’une fondation ou d’une association à but humanitaire, vous êtes souvent sous la pression de certains donateurs, ce qui est sympathique, mais vous êtes aussi parfois sous celle de personnes aux intentions moins pures. Il faut donc savoir être disponible aux uns et être intransigeant avec les autres. Il m’a semblé que pour renforcer la position du président et garantir les donateurs je devais trouver une sorte de contre pouvoir qui ne permettait à aucun des responsables de la fondation de pouvoir disposer des fonds qui leur étaient confiés.


Vous installez alors une nouvelle gouvernance à la FRM

Après y avoir murement réfléchi, j’ai décidé d’installer à la FRM un conseil de surveillance et un directoire. Le conseil de surveillance est composé de bénévoles, gage de personnes de qualité, qui définissent la stratégie de la fondation, surveille sa bonne exécution et nomment les membres du directoire. Ce conseil est composé de trois collèges, un collège rassemblant les représentants de l’Etat, un autre représentant les chercheurs et un troisième composé de personnes qualifiées dont un représentant des donateurs.

Il revient au directoire composé de personnes particulièrement compétentes et appointées d’appliquer la politique du conseil de surveillance. Il lui revient d’assurer la responsabilité de cet exécutif et de rendre régulièrement compte au conseil de sa bonne gestion. Ainsi, dans cette structure ni le conseil, ni le directoire n’ont la libre disposition des fonds et doivent être parfaitement d’accord sur la politique à poursuivre à long terme. Accessoirement, ce système permet également de disposer à la tête du conseil de surveillance d’une très grande personnalité reconnue pour son éthique et son renom et qui n’aurait pas toujours le temps de se consacrer à plein temps aux tâches quotidiennes.

Cette structure de pouvoirs partagés était nouvelle, inédite même. Il a fallut convaincre. Le conservatisme existe partout, mais assez vite quelques responsables ouverts et réalistes acceptèrent de me laisser tenter ma chance. Et, après plus de dix ans d’expérience, nous en sommes à plus de dix ans de réussite grâce au comportement intelligent des différents responsables de la FRM (Jacques Bouriez, Denis Duverne, Denis Le Squer…..), tous préoccupés par l’intérêt et la confiance des donateurs, mais aussi par celle des chercheurs.


Un conseil scientifiques composé de chercheurs

La politique de recherche de la FRM est conçue à deux niveaux. Au niveau du conseil de surveillance d’abord qui dispose de plusieurs comités spécialisés pour le conseiller (financier, audit, orientation. .) dont un comité de la recherche composé de personnalités expérimentées et de très grands renoms qui propose au conseil de surveillance une politique d’aide à la recherche médicale dans tous les domaines pathologiques, en fonction des besoins à prévoir et de l’évolution prévisible de la nature de ces recherches.

En revanche, l’étude et la sélection des aides accordées par la FRM sont réalisées par un conseil scientifique dont le fonctionnement répond au souci d’éthique et d’efficacité voulu par les fondateurs de la FRM, il y a bientôt 70 ans et qui n’a jamais été mis en défaut. Ce conseil scientifique est composé de 32 membres élus par les directeurs d’unités de la recherche médicale publique. La FRM étant compétente dans tous les domaines de la médecine, il peut arriver que certaines disciplines ne soient pas représentées. Dans ce cas la FRM complète les quelques postes manquants sur proposition du conseil scientifique. Les membres ne sont élus que pour quatre ans afin qu’il ne se crée pas de chapelles. Il sont renouvelés par moitié tous les deux ans pour que le conseil scientifique travaille en respectant dans le temps les mêmes critères. Ainsi l’indépendance de leurs travaux et la continuité dans le respect des procédure sont assurées. Selon les années ils étudient environ 1500 dossiers, parfois plus. Pour chacun des dossiers deux rapporteurs sont désignés qui soumettront leurs conclusions au conseil scientifique en séance plénière. Environ un tiers des dossiers est retenu.

Il peut advenir qu’une affection émergente et particulièrement grave, comme ce fut le cas du sida, oblige à des dispositions particulières et urgentes afin d’une part de faire face et de l’autre de ne pas perturber la tâche du conseil scientifique statutaire. Le comité de la recherche crée alors un comité ad hoc composée d’experts qui tout en étant autonomes doivent être en liaison avec le Conseil scientifique statutaire de la FRM.  Je me souviens de l’ambiance particulièrement lourde qui présidait aux débats du comité sida, dans la deuxième partie des années 1990, lors de la mise au point des thérapeutiques, car les spécialistes, praticiens-chercheurs qui le composaient étaient sous la pression permanente de leurs patients. A l’époque, le diagnostic de leur maladie valait une condamnation à mort. Je me souviens, en particulier, que nous avions accepté que des représentants des associations de malades puissent assister aux travaux du comité. Certains, emportés par la maladie, n’ont même pas pu aller jusqu’au bout de leur mandat... Et pourtant tous ces praticiens chercheurs membres du comité sida ont fait face et ont contribué à l’effort international de lutte contre la maladie au point d’en inverser le pronostic; même si malheureusement cette maladie n’a pas encore disparu.


Les ressources de la FRM

Aujourd’hui, la majorité des ressources de la FRM est constituée de dons et de legs. Les légataires sont généralement d’anciens donateurs. Je devrais d’ailleurs mettre ces mots un féminin, car les femmes se montrent en général les plus généreuses. Des entreprises mécènes contribuent également à ces ressources, même si elles sont extrêmement sollicitées. Quoi qu’il en soit toutes ces ressources proviennent du secteur privé. SI j’essayais de faire une typologie des donateurs, je dirais que globalement il y en a trois grandes catégories. Il y a d’abord le fidèle des fidèles convaincu qui suit l’action de la FRM et qui la soutient quoi qu’il arrive. Il y a aussi le donateur au grand cœur qui considère l’action de la FRM comme très importante et la soutient. Et puis, il y a les 'incertains' qui suivent par raison ou parce que donner fait partie des usages. Ceux-là sont plus fragiles et moins fidèles. Or la recherche médicale est un pari permanent qui nécessite un effort continu et en augmentation. Pour assurer cette continuité, il faut au sein de la FRM disposer d’une structure capable de comprendre les motifs de ces dons et d’en assurer une croissance permanente. Car non seulement la recherche ne supporte pas le 'stop and go', mais les techniques nouvelles sont de plus en plus performantes, mais aussi couteuses. Ces ressources sont un bien d’autant plus précieux qu’il est la concrétisation d’une confiance et d’une émotion. Il faut donc les gérer avec rigueur et repousser avec la plus grande vigueur les tentatives de tous les prédateurs pour lesquels ces ressources peuvent devenir l’objet d’un intérêt malsain. La FRM est contrôlée à la fois par la Cour des Comptes et par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Un ancien Président de la FRM a même créé en 1989 avec quelques associations et fondations amies un 'Comité de la Charte', un organisme privé chargé de vérifier que l’organisme humanitaire suit bien une règle de déontologie très exigeante qui justifie pour les donateurs leur 'don en confiance'.

J'ajoute un souvenir personnel qui m’a beaucoup marqué. Nous avions fait l’objet d’un contrôle de l’IGAS dont les conclusions étaient très positives et il m’a semblé normal d’en communiquet le résumé aux donateurs. Mais auparavant, j’ai soumis le contenu de ce communiqué à l’IGAS qui me rappela au téléphone pour me donner son accord, ajoutant : « à la place de votre expression 'd’un contrôle satisfaisant', nous aimerions que vous mentionniez 'd’un contrôle très satisfaisant' ». Je m’en souviens encore avec émotion. A l’occasion de ce contrôle, l’IGAS fit cependant remarquer qu’avoir une 'Maison de la recherche' mise à la disposition des chercheurs était une heureuse initiative, mais que ces lieux n’étant pas occupés en permanence, leur cout apparaissait trop important. La remarque était justifiée et c’est alors que nous avons pu trouver un accord avec 'SODEXO Prestige' qui utilise ce rez-de-chaussée lorsqu’il n’est pas occupé par des chercheurs, ce qui nous a permis de réaliser de solides économies.


La FRM et les établissements de recherche publiques

Il est vrai que la FRM a parfois dans le passé fait l’objet de sollicitations pour être plus ou moins intégrée à des structures de recherche publiques ou privées. Or, sans notre indépendance, nous perdrions un des atouts essentiels de notre action qui tient à la rapidité de notre réponse face aux demandes parfois urgentes des chercheurs et qui associe la souplesse à l’efficacité. L’indépendance apparait bien alors comme une nécessité absolue pour l’action de la FRM et nous n'avons jamais transigé sur ce point. En revanche, nous sommes bien sur en liaison avec d’autres fondations ainsi qu’avec les organismes publiques (Pasteur, CNRS, Inserm,...) afin de définir éventuellement avec eux des actions coordonnées. Ces liens sont d’ailleurs d’autant plus naturels que tous les grands chercheurs qui appartiennent au comité de la recherche et au conseil scientifique de la FRM appartiennent aux grandes unités de la recherche médicale publique.

J’ai toujours admiré le dévouement et le sérieux de ces chercheurs qui assument une tâche de travail considérable, qu’ils prennent sur leur temps privé et qui ne reçoivent en compensation qu’une petite indemnité pour leur laboratoire. Il y a comme nous l’avons vu environ 1500 dossiers à étudier soigneusement, à deux, chaque année. En m’entretenant avec certains d’entre eux, j’ai mieux compris ce magnifique dévouement. D’abord, ces chercheurs mesurent l’importance de la tâche qui leur est confiée, tout en y trouvant un intérêt personnel. Chacun d’entre eux est en effet un grand spécialiste dans son domaine de recherche. Comme la FRM s’adresse à tous les domaines de la pathologie, ces grands spécialistes travaillent avec d’autres spécialistes de domaines avec lesquels ils ont parfois perdu le contact et cette reprise de contact leur permet de réactualiser certaines connaissances et de porter sur leurs propres travaux un éclairage nouveau.  


L’Association Claude Bernard (ACB)

L’Association Claude Bernard a été créée peu de temps après la FRM. En effet, Xavier Leclainche qui était le directeur général de l’Assistance publique de Paris (on ne disait pas encore l’AP-HP), était également membre du Conseil d’administration de l’ADRMF qui allait se transformer en FRM en 1962. Il lui vint à l’esprit de créer au sein des hôpitaux de Paris des centres de recherche qui pourraient être soutenus par la future fondation. Alphonse Gardie, alors secrétaire général de l’AP, allait être un artisan efficace de ce projet. L’accueil de la future FRM fut enthousiaste, au point de modifier ses statuts pour établir des relations privilégiées avec l’ACB. Les deux associations partagèrent même à l’époque leurs administrateurs. A son origine, le financement du projet ACB fut soutenu par le Conseil général de la Seine. Mais, le département de la Seine divisé par la suite entre Paris et divers départements périphériques, la capitale prit alors en charge le soutien assuré jusque là par le département. Les relations demeurèrent étroites entre la FRM et l’ACB, sauf que la FRM ne limitait pas ses aides à la région parisienne et que ses sources de financement étaient exclusivement privées. L’ACB avait crée bon nombre de laboratoires de recherche, mais la création de l’Inserm en 1964 allait reprendre cette initiative à son compte. D’autre part, devant des ressources en déclin la Mairie de Paris décida la dissolution de l’ACB. Or, à l’époque cette dernière assurait encore la gestion de financements privés en faveur de certains laboratoires et pour éviter de priver ces laboratoires de ressources précieuses, le professeur Jean Bariéty avec quelques confrères fonda l’'Association Robert Debré' qui prit de fait la succession de l’ACB.


La recherche, c’est l’avenir

Certains affirment qu’un pays qui n’a pas une grande recherche est condamné au déclin. Personnellement, je souscris tout à fait à cette analyse. Si nous voulons assurer un avenir économique et social à notre pays, seule l’innovation peut en assurer une base solide et pérenne, surtout dans un monde qui va affronter des bouleversements scientifiques et techniques considérables. Deux grands personnages politiques en ont pris conscience. Charles de Gaulle d’abord qui s’impliqua lui-même dans une politique audacieuse qui fit que jamais la France n’a connu un tel essor au plan de la recherche scientifique. François Mitterand eut également ce souci et il en confia la charge à Jean-Pierre Chevènement qui fut, je crois, le seul ministre d’Etat chargé de la Recherche. Malheureusement, à part ces deux exceptions, la recherche n’a jamais eu dans les organigrammes gouvernementaux la place qui devrait lui revenir. Il est aisé de comprendre que les politiques ont souvent à gérer des problèmes de l’instant et que leur 'espérance de vie' ne s’inscrit pas dans le très long terme. Or, nous avons la chance d’avoir les femmes et les hommes compétents pour assumer cet effort de recherche. Une négligence voire un aveuglement politique dans ce domaine pourrait s'avérer dramatique à terme. S’agissant de la recherche médicale, pouvons-nous admettre que nous dépendions de l’étranger pour faire face à des problèmes de santé qui peuvent nous être spécifiques ? Même s’ils ne se sont pas tous engagés personnellement, les responsables ont toujours pris conscience du défi majeur que la recherche représentait pour notre avenir. Je me permettrai de citer cette phrase de Georges Pompidou alors qu’il était Président de la République : « Le monde moderne est dominé par le progrès scientifique et technique et [..] un pays qui ne consent pas l’effort intellectuel et financier nécessaire pour être dans le train est condamné irrémédiablement à la médiocrité et à la dépendance»


Médecine et Pharmacie


Vous fûtes l'unique président de la FRM issu des milieux de santé, pourriez vous évoquer votre carrière monsieur Joly?

J'ai effectivement travaillé dans l’industrie pharmaceutique jusqu’à ma retraite en 1993.  J’étais alors aux Etats-Unis pour mon entreprise (Roussel-Uclaf). Je reçus un appel téléphonique de Claudine Escoffier-Lambiotte et de Jean Bernard qui ayant appris ma prochaine retraite me proposaient d’assurer la présidence de la Fondation. J’en étais donateur, car cette institution faisait vraiment un travail formidable. Je leur indiquais que j’étais très sensible à l’honneur qu’ils me faisaient et ne pouvais que leur donner mon accord avec la réserve habituelle dans ce genre de circonstances : "est-ce que cela me prendra beaucoup de temps ?
- Guère plus d’une demi-journée par semaine. D’ailleurs, ajouta Claudine Escoffier-Lambiotte, je vous aiderai".
En fait j’allais travailler plein-temps, d’autant qu'elle allait bientôt disparaître. C’est ainsi que je devins le premier président de la FRM (1993-2010) à n’être pas banquier, mais industriel, succédant à Gérard de Chaunac qui avait été président de CETELEM.

Donc pour répondre à votre question, je dois vous rapporter ce qui m’a amené à poursuivre une carrière dans l’industrie du médicament. Avant la guerre ma mère tenait un petit atelier de couture et mon père venait de créer un cabinet dentaire. Mais la crise économique des années trente, d’origine américaine (déjà) allait mettre en péril leurs efforts. A peine sortis d’affaire, la guerre puis l’occupation vinrent une nouvelle fois rebattre les cartes. Epuisé mon père décédait en 1951, j’avais vingt ans. Nos ressources étaient des plus limitées. Mon frère terminait ses études de médecine ;il était normal que nous l’aidions en priorité. J’avais commencé mes études à la Fac de pharmacie de Paris. Mais déboussolé, je ne savais ce que je devais faire. Le doyen Fabre me reçut pendant une longue entrevue au cours de laquelle, il me donna les conseils dont j’avais besoin : « tu dois continuer tes études. Fais des petits boulots, fais des remplacements. Je vais t’aider en te donnant une petite bourse prise sur ma cassette personnelle pour te montrer la confiance que je te fais». Je me souviens encore avec une très grande émotion de cet entretien qui allait orienter ma vie. A vrai dire j’ai toujours été extrêmement surpris par les évènements heureux dont j’ai bénéficié tout au long de ma vie professionnelle sans les avoir sollicités. J’ai passé mon concours d’internat des hôpitaux de Paris. Puis il m’a fallu faire mon service militaire ; on y partait pour dix huit mois et on y restait presque trois ans au gré des différents engagements de notre pays. J’ai passé ma thèse dans la discipline de celui qui avait su être là au moment qu’il fallait : la toxicologie. J’aurais aimé poursuivre une carrière hospitalo-universitaire, mais j’avais toujours des problèmes alimentaires à régler avant de me marier. C’est alors que mon patron, le doyen Fabre, me conseilla de le remplacer comme consultant en toxicologie auprès d’un groupe chimique français, ce que je fis en mesurant toutefois la modestie de mes compétences. Et puis un jour je fus engagé comme jeune ingénieur de cette firme. Quelques temps plus tard, le président de cette société me demanda si j’acceptais de l’aider à créer une filiale pharmaceutique de son groupe, les Établissements Kuhlmann. C’était à la fois pour moi un honneur et une très heureuse opportunité. C’est ainsi que j’ai commencé ma carrière dans l’industrie du médicament.


Comment caractérisez-vous la relation de la médecine avec la pharmacie ?

Pour moi, c’est une relation qui s’inscrit naturellement dans la continuité de l’acte médical. Jean Bernard. qui a été Vice-Président de la FRM fixait l’origine de la médecine moderne à la date de la découverte des sulfamides en France en 1937 à l’Institut Pasteur. Je me souviens aussi des propos de Iroshi Nakajima lorsqu’il était directeur général de l’OMS : « lorsque le médecin ne dispose pas d’un médicament, il en est réduit à la compassion !» J’ai vérifié ces deux assertions tandis que j’étais interne provisoire à Bichat en 1951. André Paraf était le chef du service de pneumo-phtisiologie. L’action de la streptomycine était synergisée par des dragées de 'PAS' (para-amino-salycilique). Malheureusement cette substance s’oxydait à l’air libre et perdait une bonne partie de son efficacité. Mon chef de laboratoire, Jacques Bory, cherchait une solution. Il eut l’idée de mettre le 'PAS' en perfusion en présence d’une substance réductrice afin d’en éviter l’oxydation. Nous préparions ainsi deux flacons de 500 ml. Au bout de quelques jours la solution apparaissait stable. Nous montrâmes cette nouveauté à André Paraf qui très intéressé me demanda d’en administrer un flacon au numéro tant, à l'hopital on ne citait pas encore les malades par leur nom :  «son pronostic est des plus sombres, ce flacon peut être une opportunité à saisir ». Le malade était dans une chambre à deux lits. Le deuxième n’étant pas occupé, inquiet, je décidai d’y passer la nuit pour suivre l’état de notre patient. A ma très grande satisfaction, la perfusion avait été bien reçue et le malade devait quitter quelques temps plus tard le service de phtisiologie quasi guéri. Dans le même service, il y avait une salle composée essentiellement de jeunes femmes souffrant de méningites tuberculeuses. Nous en perdions neuf sur dix pour ne pas dire dix sur dix dans des conditions physiques qui me rappelaient, le souvenir encore récent des retours des camps de concentration, quelques soient les soins attentifs que nous leurs prodiguions. Avec cette nouvelle thérapeutique, le pronostic fut pratiquement inversé en moins d’un an, neuf sur dix survivaient. Pour moi, le médicament ne devenait pas un métier comme un autre, mais une magnifique aventure à vivre. Je pense que c’est de cette façon, la plus concrète et la plus positive, qu’est née pour moi une vocation pour le médicament et pour la recherche médicale.


Quel souvenirs gardez vous des projets de nationalisation de la pharmacie à la veille des années 1980 ?

Plus que la pharmacie en général, les idées de nationalisation concernaient à cette époque principalement l’industrie du médicament. Il est toujours dangereux de plaider l’incompréhension du public face à une activité aussi risquée que complexe. Et pourtant ! Si la plupart d’entre nous sommes encore de ce monde, c’est bien au médicament que nous le devons. Bien sur, les accidents de toutes sortes ne sont pas admissibles lorsqu’il s’agit de santé que ces accidents aient pour origine l’ignorance, la négligence ou la malignité. Et puis peut-être aussi que cette industrie n’a pas su expliquer la complexité et les risques de sa tâche. Au plan de la communication, elle est même devenue le 'marronnier' que l’on ressort dans les media lorsque l’actualité s'étiole. Et chacun y va de ses conseils d’un apparent bon sens mais qui, en fait, participe d’une méconnaissance réelle des mécanismes complexes de cette activité. Découvrir un nouveau médicament, c’est s’engager dans une aventure qui durera au moins dix ans et coutera plus d’un milliard d’euros  et encore sans la certitude du succès. On y risque l’existence de l’entreprise. La France a été dans le passé le deuxième découvreur de médicaments nouveaux au monde dans les années 1950 après les Etats-Unis L’incompréhension générale lui a été fatale. Je me souviens d’un haut fonctionnaire, qui fut en toute bonne conscience je pense, l’un des fossoyeurs de cette industrie qui pourtant contribuait pour beaucoup à la balance commerciale de notre pays. Excédé par son ignorance, je le rencontrai et lui proposais de choisir un laboratoire pharmaceutique dans lequel il pourrait étudier tout à loisir les réalités de la profession. Je me faisais fort de lui ouvrir toutes les portes afin de satisfaire sa curiosité. Il resta longtemps silencieux, il réfléchissait sans doute, et la réponse tomba, ahurissante : « Je ne pourrai pas, car je craindrais d’y perdre mon objectivité ». Il préférait continuer à juger une activité dont il souhaitait ne pas connaître les réalités !

On ne peut forcer les gens à comprendre. Et puis la présentation même d’un médicament apparait si banale par rapport à ce qu’il est en réalité qu’il autorise toutes les pensées simplificatrices. Au plan politique assez régulièrement, les responsables essaient de mieux comprendre les entreprises du médicament françaises. Mais mon expérience internationale me permet d’affirmer que notre pays est certainement celui qui porte le moins d’intérêt à cette activité fondamentale pour la santé de notre population et pour l’indépendance de celui-ci. Enfin, concernant une nationalisation éventuelle de l’industrie du médicament force est de constater que les quelques pays qui en ont tenté l’expérience n’ont plus été des acteurs de progrès thérapeutiques et les ont mené à un échec qui les réduisit à être dépendants des autres.


De la chimie à la biologie, la mutation de la pharmacie

A la fin du siècle dernier, la découverte de médicaments nouveaux participait encore essentiellement de la chimie et de la synthèse de substances naturelles. D’abord les biotechnologies sont apparues qui permettaient par exemple chez Roussel-Uclaf de diminuer le nombre des stades de synthèse (pour certaines molécules cela représentait près de cent de ces paliers) et d’en faire ainsi baisser les couts de production. Puis le début de ce siècle a vécu la  révolution génétique. Désormais, les nouveaux médicaments relèvent de cette nouvelle discipline. Mon impression est que notre industrie n’a peut-être pas pris ce virage assez tôt. D’ailleurs, Pierre Tambourin lorsqu’il a installé le Génopole d'Evry avait déjà déploré ce retard. Mais dans le domaine du médicament les choses ne sont jamais simples, la chimie a certainement encore un rôle à jouer. Je crois, également, que le management à venir des entreprises pharmaceutiques sera plus propice à préparer les conditions d’une stratégie scientifique qu’à faire de la valeur ajoutée à court terme. Nous avons vu, en effet, que la découverte de nouveaux médicaments s’inscrit dans le temps et constitue un pari risqué, comme le dit Erik Orsenna, « Le futur ne doit pas être l’otage du présent».