Un institut national de la santé à direction collégiale va être créé
Le " Journal officiel " publiera dans quelques jours un décret qui devrait avoir pour l'organisation de la recherche médicale française une grande importance.En créant un établissement public nommé Institut national de la santé et de la recherche médicale, il apportera en effet, et pour la première fois, l'instrument d'une indispensable coordination entre les différentes actions gouvernementales en faveur de cette recherche.
Par le dr. ESCOFFIER-LAMBIOTTE, Le Monde, 23 juin 1964
Le nouvel institut national se substituera à l'Institut national d'hygiène, dont les structures n'étaient plus adaptées au développement des laboratoires dans toute la France. Il sera dirigé par le professeur Aujaleu, ancien directeur général de la santé publique, qui doit être assisté dans sa tâche par un conseil scientifique de vingt membres choisis parmi les personnalités scientifiques les plus qualifiées. Au sein de ce conseil figurent deux personnalités élues par les chercheurs, trois autres appartenant aux centres hospitalo-universitaires, et quatre représentants des commissions spécialisées. Ces dernières commissions ont pour tâche d'assister le conseil scientifique dans l'orientation et le développement des recherches. Pour chaque discipline, elles donneront un avis sur la création des laboratoires, l'attribution des subventions, bourses ou prix et les nominations, promotions ou échanges de chercheurs. Elles se composent chacune de dix-huit membres, et les dispositions d'un arrêté adjoint au prochain décret prévoient qu'une commission nouvelle peut à tout moment être créée si les besoins de l'orientation scientifique l'exigent. Le nouvel institut national a donc une direction collégiale, et associe étroitement les chercheurs à sa gestion et à son animation scientifique. Les attributions et les principes mêmes de sa conception lui permettront de plus de coordonner des activités et des budgets jusqu'à présent multiples et disparates. Ses dirigeants, membres du conseil d'administration et des conseils ou commissions scientifiques, doivent être prochainement nommés par un arrêté conjoint des ministres de la santé publique, de l'éducation nationale et de la recherche scientifique. Leur rôle consistera non seulement à organiser la recherche médicale mais aussi à diriger " toutes les études concernant les problèmes intéressant la santé de l'homme et la situation sanitaire du pays " et à tenir le gouvernement informé de cette situation. La protection contre les rayonnements ionisants fait, au même titre que la lutte contre la pollution atmosphérique, partie de ces attributions.
Coordonner et simplifier
Il faut souhaiter que cette structure administrative nouvelle facilite l'indispensable harmonisation et la simplification, souhaitées par tous les chercheurs, des diverses modalités d'aide gouvernementale. Bénéficiant jusqu'à présent de subventions accordées à la fois par les ministères de la santé publique, de l'éducation nationale et de la recherche scientifique ainsi que par des organismes publics ou privés tels que le C.N.R.S., l'I.N.H., les caisses de sécurité sociale, les structures hospitalières, les municipalités et les universités, les chefs de laboratoires se trouvaient en effet dans l'obligation de consacrer une part considérable de leur temps à là rédaction de justificatifs administratifs rédigés en dizaines d'exemplaires, et tout cela pour des budgets nettement insuffisants (1), et qu'il s'avérait impératif de compléter, sous peine de fermeture. Il faut souhaiter aussi que l'initiative du législateur s'accompagne d'un effort budgétaire correspondant. Le budget pour 1964 du nouvel institut s'élève à 34 744 000 francs, ce qui représente une augmentation de 36 % par rapport à 1963 et devrait permettre de recruter 218 chercheurs et 126 techniciens ; mais le nombre des unités ou groupes de recherche n'est encore, pour toute la France, que de 31 (le Plan en prévoit 47 à la fin de 1965), et l'insuffisance des crédits conduit encore à écarter chaque année de brillants éléments qui ne peuvent être retenus faute de postes budgétaires disponibles. De plus, les salaires des chercheurs sont très faibles, et ceux des techniciens plus faibles encore, ce qui conduit les uns et les autres à rejoindre rapidement le secteur industriel, les unités de recherches servant ainsi de " stage de perfectionnement ", et cette valse du personnel qualifié ne peut que nuire gravement à la bonne marche des travaux. Notons à titre d'exemple qu'un chargé de recherche ayant sept ans d'ancienneté et trente-cinq ans environ gagne 1 480 francs par mois, alors qu'il en aurait plus de 2 100 dans l'Industrie chimique ou pharmaceutique, et que le plus bas salaire du chercheur américain correspondant est de 4 600 francs. Le technicien est plus mal loti encore ; il reçoit, s'il débute, 620 francs par mois, alors qu'il gagnerait 1 000 francs dans le secteur privé. Si cette situation ne pouvait être redressée, la France, qui manque déjà de chercheurs (2), se trouvera d'ici cinq ans dans une situation affligeante et devra renoncer à la coopération technique et scientifique qu'elle envisage avec les pays en voie de développement. Le professeur Bugnard, auquel incomba la tâche écrasante de diriger l'Institut national d'hygiène et d'organiser la recherche médicale de la période d'après guerre jusqu'à cette année, a dénoncé inlassablement, mais en vain semble-t-il, les dangers de cette situation. Il faut souhaiter que son successeur, et le collège de chercheurs qui l'assiste à présent puissent enfin se faire entendre.
(1) Tous les centres de recherche anticancéreuse français doivent doubler le budget officiel qui leur est alloué au moyen de dons privés.
(2) Treize mille trois cents postes de chercheurs n'ont pu être satisfaits en 1963. Ce chiffre s'élève à 25 000 pour les techniciens, pour l'ensemble des activités de recherche en France.