LA REFORME DES ÉTUDES MÉDICALES
Par Le professeur ANDRÉ LEMAIRE, Le Monde, 12 décembre 1953
La question n'est pas d'hier : on en parle depuis le début du siècle ; elle n'intéresse pas que la France : on en discute dans le monde entier. Faut-il s'en étonner ? Le développement des nombreuses sciences dont se nourrit la médecine, la diffusion assurée aux moindres découvertes par les actuels moyens d'expression, le souci croissant que prend chacun de nous d'éviter la maladie et le désir qu'ont les États de protéger la santé de leurs citoyens sont autant de facteurs qui mettent les hommes de tous les pays devant le problème de la formation du médecin. C'est donc à juste titre que fut réunie en août dernier à Londres une conférence mondiale de l'enseignement médical : près de quatre cents représentants de vingt-sept pays et de quatre-vingt-douze facultés de médecine y participèrent qui n'ont pas entendu et discuté moins de cent vingt-quatre rapports.
Ce ne fut qu'une réunion d'information. Aucun accord, même de principe, n'était possible entre ces délégués, qui très vite formèrent deux groupes de tendance divergente, l'un de culture latine auquel s'étaient joints les Allemands ; l'autre, plus nombreux, de langue anglaise, qui manifestement ignorait à peu près tout de la médecine des pays latins, considérée par eux comme " ancienne " et tout juste digne d'inspirer une curiosité historique. L'heure n'est pas venue : trop de manières de penser, d'habitudes ancestrales, de réflexes individuels, qui ne sont pas seulement le propre des médecins, nous dominent encore pour que puissent être unifiées les règles qui président à l'enseignement de la médecine. Soyons modestes. Avant de nous préoccuper de réformes à l'échelle mondiale, réalisons d'abord celles qui sont nécessaires chez nous.
Car il y a en France une crise de l'enseignement médical qui s'aggravera assez vite si l'on n'y porte pas attention. Sa cause première réside dans le fait que le schéma d'enseignement qui fut institué voici cent cinquante ans n'a pas été foncièrement modifié, alors que la somme des connaissances nécessaires au médecin augmentait de manière incroyable. Autrefois la primauté était donnée à l'anatomie et à la pathologie, le reste comptait peu ; la clinique s'apprenait en de longs stages de médecine, de chirurgie et d'obstétrique ; c'était l'externat et l'internat qui établissaient la hiérarchie entre les étudiants et formaient la majeure partie des chirurgiens, des consultants régionaux, puis des spécialistes. Aujourd'hui nous vivons théoriquement sur le même schéma, mais combien modifié ! Car il a fallu donner leur place à ces matières nouvelles ou renouvelées que furent successivement la physique, la chimie, la physiologie, la bactériologie, l'histologie, la parasitologie, la médecine expérimentale, la pharmacologie, la médecine légale, l'hygiène, et trouver leurs horaires aux stages nécessaires de neurologie, de psychiatrie, de maladies infectieuses, de pneumo-phtisiologie, etc. Si bien que la pathologie comme la clinique ont perdu beaucoup de leur prévalence. L'internat, plus nécessaire que jamais, continue à former des chirurgiens et des spécialistes, mais la création de diplômes d'études spéciales, c'est-à-dire la consécration officielle des spécialistes, lui fait concurrence et complique l'enseignement plus qu'elle ne le simplifie : elle a aussi l'inconvénient d'ôter beaucoup de sa signification au diplôme de docteur en médecine. En sorte que les programmes actuels, surchargés et déséquilibrés, et néanmoins en retard sur l'évolution technique, scientifique et sociale, ne permettent, malgré beaucoup d'efforts, qu'un enseignement imparfait. Une réforme va devenir nécessaire, et ce n'est pas seulement les professeurs et le ministère qui se proposent d'en définir les modalités, mais aussi les étudiants et leurs associations, les médecins des hôpitaux et leur collège, les praticiens et l'ordre des médecins. La tâche des facultés de médecine est considérable et diverse : le doyen Léon Binet l'a récemment rappelé en inaugurant la nouvelle faculté de la rue des Saints-Pères. Mais leur but principal est celui de la formation des médecins dits praticiens et celle des spécialistes. En ce qui concerne les spécialistes, les difficultés ne sont que de détail, et tout le monde est d'accord sur le principe de n'admettre aux études spéciales que des docteurs en médecine. La spécialisation ne saurait donc être précoce; elle doit être précédée d'une formation générale et elle exige plusieurs années d'études supplémentaires.
C'est à la manière dont est assurée cette formation générale nécessaire à tous les médecins qu'on peut trouver à redire. Les médecins qui seront praticiens (c'est-à-dire les plus nombreux des six mille huit cent quatre-vingt-cinq étudiants actuellement inscrits à Paris) doivent être capables de dispenser tous les soins médicaux, chirurgicaux et obstétricaux courants ; comme leur diplôme de docteur leur donnera le droit de tout faire, ils doivent donc tout savoir. C'est pourquoi on leur apprend tout, non sans prétention ni excès. Dès qu'ils entrent à la faculté les étudiants sont voués aux sciences dites fondamentales et à la clinique. Des sciences fondamentales on penserait qu'ils savent déjà une bonne part, puisqu'ils ont passé leur baccalauréat et leur P.C.B. Hélas! C'est pendant deux années entières qu'ils suivront un enseignement scientifique de très haute qualité, mais trop complet et trop savant, et qu'ils assisteront à des travaux pratiques qui leur seraient sans doute profitables si, moins nombreux, ils pouvaient s'y livrer à des manipulations individuelles. Ces notions théoriques, mal affermies par une insuffisante pratique, ils s'empressent généralement de les oublier sitôt passés les examens correspondants. C'est dommage certes, mais il faut dire qu'elles dépassent leur objet. Je ne crois être désobligeant pour personne si j'avance qu'il n'est pas beaucoup de nos cliniciens les plus justement réputés qui pourraient tout à la fois donner la formule chimique développée de la dizaine de médicaments qu'ils prescrivent journellement, définir telle particularité du métabolisme cellulaire découverte naguère par le dernier prix Nobel ou exposer les caractéristiques physiques des rayons roentgen. Ils sont pourtant de bons thérapeutes, ils connaissent fort bien les maladies de la nutrition et ils utilisent convenablement leur appareil de radioscopie. Pourquoi veut-on que les étudiants soient plus savants ? Il est courant de dire qu'il faut avoir beaucoup oublié, donc beaucoup appris, pour savoir peu : à ce compte je prétends qu'il vaudrait mieux que nos jeunes gens aient appris beaucoup de pathologie et beaucoup de thérapeutique ; au moins seraient-ils assurés d'en savoir un peu ou un peu plus. Sont-ils destinés à connaître l'homme ou l'animal de laboratoire ? Je sais bien que tout se tient, mais il faut pourtant se garder d'oublier que le but des études de médecine n'est autre que l'homme malade et la guérison de ses maladies !
Dès leur entrée à la faculté ces jeunes étudiants fréquentent chaque matin les services médicaux ou chirurgicaux dits de clinique, où ils apprendront l'examen du malade. C'est une pratique assez particulière à la France et qui lui a valu l'excellent corps médical que beaucoup de pays étrangers pourraient lui envier. Est-il permis de déplorer que cet enseignement, qui compte parmi les plus utiles, fasse un peu trop figure de parent pauvre ? Car il est dispensé, dans chaque service, à une centaine d'auditeurs au moins, et assuré avec le concours de quelques chefs de clinique qui doivent être présents tous les matins : mais un seul est honoré et reçoit le dérisoire traitement de 75 000 francs par an, qu'il partage avec ses collègues ! Obligés de suivre un enseignement si lourd et de satisfaire entre temps à de fréquents examens dont dépend la délivrance de leurs inscriptions, presque tous les étudiants nourrissent pourtant une autre ambition, celle-là sincère et fervente, qui est d'arriver à l'externat puis à l'internat. Croit-on qu'en s'imposant bénévolement ce labeur supplémentaire ils sont mus par le seul désir d'obtenir, en plus d'un titre flatteur, quelques avantages naturels immédiats ? La réalité, est qu'ils savent devoir en tirer un grand et durable bénéfice. Le travail en équipe qu'exige la préparation de ces concours est effectivement le meilleur moyen d'acquérir les solides notions théoriques qu'une fois nommés ils appliqueront chaque matin dans les services hospitaliers où ils auront leur rôle et leur responsabilité. Cet enseignement " parallèle ", d'où nous viennent nos meilleurs médecins, n'a rien d'officiel : son succès et son efficacité, depuis longtemps reconnus, en disent long sur la nécessité d'une réforme des études médicales.
Le regret parfois exprimé que les futurs médecins ne sont pas assez préparés à leur rôle social est justifié. Mais comparé aux griefs précédents, il passe à l'arrière-plan. Les médecins qui doivent être des intellectuels intelligents, doués d'un grand prestige social, travailleurs et quelque peu désintéressés parce que leur profession est la plus exigeante qui soit, acquerront ces qualités qu'on prête volontiers à leurs ancêtres, si, comme eux, ils reçoivent au lycée une formation plus littéraire que scientifique. On trouve sous la plume de quelques auteurs anglo-saxons cette même idée que les humanités paraissent représenter le bagage le plus apte à la connaissance de l'homme et à la formation du médecin. Imposer aux futurs médecins une formation secondaire plus adéquate, intégrer le P.C.B. dans les études médicales de manière qu'il prenne en un an la place de l'enseignement dit fondamental des deux premières années actuelles, telle serait semble-t-il la meilleure façon d'équilibrer les programmes et de redonner à la pathologie et à la thérapeutique leur véritable importance, tout en ne perdant pas de vue qu'il nous faut des praticiens et non pas des savants.
Ces préoccupations sembleront inspirées par un idéal modeste ou borné. Je ne le crois pas, car rien n'empêche les facultés de médecine d'instituer un enseignement spécial supérieur, destiné aux chercheurs et aux futurs professeurs : il ne s'agit là que d'une modalité particulière de spécialisation ; comme telle, elle ne peut s'acquérir qu'une fois conquis le titre de docteur, c'est-à-dire assuré l'enseignement commun de base. Certains ont craint de voir s'instaurer par là une hiérarchie nuisible à l'unité du diplôme de docteur en médecine. Alors il faudrait faire la même objection à la vingtaine de spécialités jusqu'à présent reconnues. En vérité le principe n'est pas discutable mais c'est dans l'application que résident les véritables difficultés car alors se posent les questions connexes de la répartition équitable des étudiants entre nos neuf facultés, de la réorganisation des écoles de médecine, de l'interchangeabilité des professeurs d'une faculté à l'autre, sans compter le problème du recrutement des médecins hospitalière. Mais ceci est une tout autre affaire !
Où va la médecine ?
ANDRÉ LEMAIRE, LM, 19 avril 1957
IL ne s'agit pas aujourd'hui de discuter sur le bien-fondé d'un projet de loi qui réunit contre lui la grande majorité des médecins et de dire s'il risque d'avilir une profession dont le bon exercice apparaît plus que jamais nécessaire à l'ordre social ; moins passionné, je voudrais essayer de préciser comment s'orientent les doctrines médicales du moment et montrer les modifications déjà sensibles qu'apportent à des modes de penser vieux de près d'un siècle les moyens techniques modernes. Rappelons d'abord les grandes étapes de nos progrès. C'est seulement à l'aube du dix-neuvième siècle que les médecins, lassés d'un art qui restait empirique, comprirent que leur activité pouvait ne pas se réduire au ressassement d'aphorismes enfantins ou à l'application de recettes saugrenues, mais qu'en comparant entre eux les cas particuliers ils tireraient de leurs observations des notions générales et progresseraient dans la connaissance des maladies. L'idée nouvelle qui devait leur permettre d'établir des lois et donner à leur discipline la structure d'une science fut de confronter les signes perçus pendant la maladie aux lésions révélées par l'autopsie. Tel fut l'essentiel de la méthode anatomoclinique. L'appliquant avec une rigueur exemplaire, Laënnec en montra l'excellence puisqu'il découvrit en quelques années la pneumonie, la dilatation des bronches, les pleurésies, les cavernes pulmonaires, le pneumothorax, et fonda véritablement la pathologie pulmonaire. De cette construction nous avons presque tout conservé et nous utilisons toujours le stéthoscope qu'inventa le génial Breton et qui fut l'instrument de sa gloire. Quelque quarante ans plus tard, Charcot, s'inspirant de la même méthode, put avec un égal bonheur découvrir quatre nouvelles maladies nerveuses et, comme Laënnec l'avait fait pour le poumon, à lui seul il créa la neurologie moderne. Ce fut l'ère de la sémiologie, c'est-à dire de la connaissance des symptômes grâce à quoi le diagnostic devint beaucoup plus sûr.
Mais il ne suffit pas de diagnostiquer les maladies, il faut aussi connaître leurs causes pour pouvoir les traiter avec quelque logique. Ce fut la seconde étape. Le perfectionnement du microscope et le lumineux génie de Pasteur en nous ouvrant le monde des infiniment petits devaient nous donner la clé d'un grand nombre de maladies et les bases de leur traitement. Mais Pasteur fit beaucoup plus que de prouver l'intervention du microbe dans les infections et dans les maladie d'organe : il nous livra du même coup les éléments de l'immunologie, de la sérologie, de l'allergie, sciences auxquelles les dernières années écoulées ont donné tant d'essor : c'est dans les différentes modalités du conflit antigène-anticorps, c'est-à-dire dans les réactions qui s'effectuent entre les toxines microbiennes et les substances antagonistes dont elles provoquent la formation dans l'organisme, que beaucoup de maladies sanguines, allergiques ou rhumatismales trouvent leur explication.
La pathologie humorale apparut donc comme dérivée de la pathologie infectieuse, et l'on put croire vers 1900 la médecine achevée : le microbe semblait devoir résumer la pathologie ; le sérum correspondant, la thérapeutique. Il fallut bientôt déchanter et faire aussi leur place aux maladies métaboliques, celles qui résultent de la viciation des échanges, dont les progrès de l'endrocrinologie et la découverte des vitamines nous donnent en partie la clé. Il restait encore les maladies que le trouble métabolique, l'intervention d'un microbe ou d'un tonique, ne permettent pas d'expliquer, et que faute de mieux on appelle parfois dégénératives. L'analyse microscopique de leurs lésions, ailleurs si fructueuse, aboutit à une impasse, et, comme le remarque judicieusement le professeur Oberling, la pathologie cellulaire que crut fonder Virchow est en fait une pathologie tissulaire : les lésions des cellules constatées dans les néphrites, les hépatites, les encéphalites, prouvent bien que le rein, le foie, le cerveau, sont responsables des troubles enregistrés, mais ne nous apprennent rien sur les dérèglements qui affectent les cellules constitutives. C'est pourtant là que réside le secret des maladies dégénératives et notamment du cancer. L'étude de la pathologie cellulaire, qui est bien l'objectif de notre époque, n'est possible qu'à deux conditions : développer la chimie biologique et spécialement celle des ferments, disposer d'un instrument convenable de prospection, en l'occurrence le microscope électronique. Il est curieux de constater que l'événement inaugural de la chimie cellulaire fut l'emploi des sulfamides, dont 1 efficacité surprenante conduisit les biologistes à s'interroger sur la physiologie de cet être unicellulaire qu'est le microbe. On s'aperçut vite que le sulfamide est un véritable anti-aliment absorbé par erreur du fait de sa similitude structurale avec un aliment (en l'espèce l'acide para-amino-benzoïque) et capable de dérégler le métabolisme du corps microbien au point de provoquer sa mort. Tel aussi apparut, à des variantes près, le mécanisme d'action des antibiotiques extraits des champignons et plus généralement des médicaments antimicrobiens ou antiparasitaires : c'est, par exemple, en bloquant dans le corps du trypanosome à des échelons précis, le cycle de dégradation du glucose qu'agissent les arsenicaux, les guanidines ou les antimoniaux.
L'application de ces notions à la pathologie humaine est à peine commencée. Déjà des résultats thérapeutiques substantiels sont acquis. Reprenons les sulfamides, dont nous savons maintenant qu'ils peuvent se comporter comme des antiferments électifs. En modifiant leur formule on obtient entre autres un corps capable d'inhiber un des ferments présents dans les cellules des tubes du rein ; il empêche à leur niveau les échanges normaux et leur fait éliminer plus de sodium, donc plus d'eau : l'acétazolamide est un nouveau et puissant médicament des œdèmes. S'inspirant des observations cliniques du professeur Janbon, le professeur Loubatières, de Montpellier, démontre dès 1942 que les sulfamides abaissent le taux du sucre sanguin. La découverte a un immense intérêt ; elle nous vaut aujourd'hui un médicament du diabète, actif par voie buccale, tel que les injections quotidiennes d'insuline peuvent n'être plus nécessaires ; les symptômes majeurs cèdent à l'ingestion pendant quelques jours de quelques comprimés. Le médicament empêche-t-il le foie de sécréter un ferment qui détruit l'insuline du pancréas, ou les cellules pancréatiques de fabriquer une hormone d'action contraire à celle de l'insuline ? La question n'est pas encore résolue, mais qu'elle puisse être seulement posée montre les profonds changements qui affectent déjà nos conceptions du diabète ! Cette évolution de la chimie cellulaire ne peut que s'accélérer quand nous connaîtrons mieux la morphologie des cellules. Nous le devrons au microscope électronique, qui, selon la prévision du professeur Oberling (1), va nous permettre de repenser toute la pathologie en créant une médecine expérimentale à l'échelle cellulaire : " Là où le microscope ordinaire nous montre des zones optiquement vides le microscope électronique nous fait voir un ensemble complexe et finement structuré, un système de cavités, de sacs, de tubes, ponctué de granules, et dont l'abondance crée des surfaces énormes éminemment aptes aux synthèses chimiques. " A l'époque où l'atome a été disséqué, n'ayons pas l'imprudence de nous demander où se situe la dernière unité vivante. Remarquons plus utilement qu'en rendant visible la dimension moléculaire nous découvrons la forme des virus dont l'activité est essentiellement fermentaire ; la morphologie rejoint la chimie pour nous faire entrevoir une doctrine pathologique nouvelle.
On pense naturellement au cancer. L'excellent livre de Rozier-Carrel (2), paru en 1953, et dont à mon grand regret je n'ai pu faute de temps donner dans ces colonnes que l'indication et non l'analyse qu'il méritait, nous apprend que la maladie cancéreuse est induite soit par un agent infectieux parasitaire ou viral, soit par une variation énergétique d'ordre physique ou chimique, c'est-à-dire par une mutation. Le savant biochimiste Warburg (3), développant ses premières conceptions, nous en explique le mécanisme L'énergie dont a besoin toute cellule vivante est supportée par le triphosphate d'adénoside qu'elle peut synthétiser soit par ses ferments respiratoires soit par la dégradation du glucose. Mais l'énergie fournie par l'un ou l'autre processus n'a pas une " structure " identique. Or, nous dit Warburg, quand une cellule a vu, par suite d'une agression physique ou chimique, sa fonction respiratoire détériorée elle ne peut jamais la restaurer ; elle doit pour subsister recourir à la glycolyse. c'est-à-dire substituer a une énergie respiratoire une énergie fermentaire de moindre qualité : alors, au bout d'un temps qui dépend du tissu et de 1 espèce animale considérée, elle perd sa différenciation, elle prolifère d'une façon désordonnée, elle est devenue cancéreuse. Ce n'est point là une théorie, mais un fait de physiopathologie cellulaire capable d'évoquer la complexité des problèmes posés aux biologistes de notre époque. Au degré de développement où nous sommes parvenus, les différentes disciplines de la connaissance sont solidaires : chacune bénéficie des progrès des autres, la médecine plus qu'aucune d'entre elles, parce que s'identifiant à la biologie de l'homme malade elle est la plus complexe. Dans l'activité concurrente des chercheurs du monde entier la France peut garder la place éminente que lui a value, au siècle dernier, le génie de Laënnec, de Charcot de Pasteur : il suffit que les crédits alloués à la recherche soient, en médecine comme ailleurs, proportionnés à l'ampleur des problèmes posés et à la complexité des moyens techniques nécessaires à leur solution.
(1) Leçon inaugurale, chaire de médecine expérimentale du Collège de France. 6 janvier 1956.
(2) Le Cancer, 1 vol. Arthème Fayard.
(3) la formation des cellules cancéreuses, In Triangle, no 6, sept 1956.