Repères historiques sur la recherche médicale en France
Pour citer cet article : J.-F. Picard, https://histrecmed.fr/dossiers/des-microbes-au-genome-reperes-sur-lorganisation-de-la-recherche-medicale-en-france (dernière MAJ : 2024)
Aux origines de la recherche médicale, prévention et vaccination
Selon Michel Foucault, la médecine scientifique nait à l'hôpital au début du XIXème siècle avec la nosologie de Philippe Pinel, I.e. la classification des maladies, et l'anatomopathologie de René T. Laennec, l'étude des lésions organiques, mais aucune de ces disciplines n'offraient de perspectives thérapeutiques autre que l'intervention chirurgicale, laquelle devait d'ailleurs porter la clinique au sommet de son art. Certes, au milieu du siècle Claude Bernard introduit la physiologie au Collège de France, mais cette discipline nouvelle rencontre peu d'écho dans le corps médical selon Mirko Grmek, cela faute d'applications pratiques. A l'inverse avec la vaccination, la microbiologie de Louis Pasteur apporte des moyens d'action dans la lutte contre les maladies infectieuses. Inauguré en 1887, l'Institut Pasteur devient alors un modèle d'organisation de laboratoires qui inspire le 'Rockefeller Institute for Medical Research' aux Etats-Unis, voire l'Association Kaiser Wilhelm (KWG) en Allemagne et en France, l'Institut du radium ou l'Institut de biologie physico-chimique.
Au long du XXème siècle, deux guerres mondiales ont été propices au développement de la recherche aux armées avec la radiologie, la chirurgie réparatrice puis la transfusion sanguine - ainsi que le développement de politiques sanitaires. Ainsi, la Grande Guerre a vu le développement de la lutte anti-tuberculeuse grâce à l'intervention de la fondation Rockefeller, puis la création d'un premier ministère de la Santé suivi d'un Office national d'hygiène sociale. Au début des années 1940, le régime de Vichy organise la médecine préventive afin de parer aux privations subies par la population d'un pays occupé. Cette tâche est confiée à André Chevallier de la faculté de Marseille qui explique à son confrère Serge Huard, le chirurgien chargé du porte-feuille de la Santé, "(que) le secrétariat d'Etat dont il a la charge /.../ ne (pourra) accomplir la besogne technique qui lui incombe et donc prendre la place qui lui revient de grand ministère technique qu'en ayant à côté de lui un organisme présentant toutes garanties scientifiques". Une loi de 1941 crée l'Institut National d'Hygiène (INH), l'ancêtre direct de l'Inserm, initialement chargé de prendre les mesures nécessaires pour parer aux pénuries pharmaceutiques et alimentaires. La recherche médicale a donc d'abord bénéficié de l'approche collective de politiques sanitaires avant de relever de la pratique individuelle du praticien.
L'entre-deux-guerres, le clivage clinique - laboratoire
Dans l'entre-deux-guerres, le clivage s'est accentué entre l'apprentissage de la clinique dispensé à l'hôpital et l'essor d'une médecine préventive en dispensaires. Dans un rapport sur l’enseignement médical en Europe établi à la veille de la Première Guerre mondiale (‘Medical Education in Europe’. New-York, Carnegie Foundation, 1912), Abraham Flexner avait décrit les deux modes d’enseignement mis en œuvre sur le vieux continent, d'un côté la formation donnée à l'hôpital en France en pathologie et en chirurgie, de l'autre l'essor de la physiologie et de la biologie dispensées dans les universités allemandes et dont allait s'inspirer l'Amérique. En France, la formation des médecins privilégie la clinique, la pratique au lit du malade sanctionnée à son sommet par le prestige des concours hospitaliers, externat, internat. A la fin des années 1920, cette opposition entre pratique individuelle et collective révèle son acuité à l'occasion des débats sur la loi des Assurances sociales. La discussion oppose les tenants de la médecine libérale aux promoteurs d’une médecine préventive et les représentants des syndicats médicaux qui défendent la primauté d'un art médical, "allergique aux termes de collectif ou de social accolés à ceux de médecine ou d'hygiène" et se dressent contre une médecine sociale, dispensatrice de soins de qualité inférieure en faisant trop de cas du pasteurisme et de la vaccination.
1945, faut-il démédicaliser la recherche médicale ?
Telle est la question posée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale alors que les pasteuriens sont conviés à la réorganisation du CNRS. Chargé de développer la fabrication de pénicilline, André Lwoff explique pourquoi il conviendrait, selon lui, de démédicaliser la recherche médicale : « Il ne saurait être question pour des raisons pratiques de considérer l'étude scientifique des agents des maladies infectieuses humaines comme une branche de la médecine. (La recherche) ne se développera efficacement que dans les laboratoires ou même dans des instituts spécialisés.../ L'immunochimie est née de l'étude de la formation des anticorps bactériens par l'organisme animal qui vient d'aboutir à la synthèse in vitro de ces anticorps, tandis que l'étude des virus née des recherches sur les principes lysogènes et sur les maladies de végétaux a ouvert un chapitre nouveau de la biologie et de la biochimie. C’est ainsi que la microbiologie a conduit par des voies diverses à la solution des problèmes relatifs à la structure des protéines et a amené à rejoindre la pathologie infectieuse et la génétique. [Or], le fait que la microbiologie n'est pas enseignée dans les facultés des sciences, mais dans celles de médecine par des professeurs qui ne sont pas des spécialistes a conduit la microbiologie française vers une crise très grave » (Arch. CNRS, AN 80 284 - 212). Evoquant la relation problématique de la clinique et de la biologie, le biochimiste Louis Rapkine qui a dirigé le groupe de recherche opérationnelles du CNRS suggère de s'inspirer du fonctionnement du ‘Medical Research Council' (MRC) britannique : « L'expérience anglaise est basée sur la conception que les vrais progrès en médecine expérimentale sont dus aux hommes de science et aux savants de laboratoire. C'est ainsi que les comités du MRC sont toujours constitués par trois quarts de scientifiques et un quart de médecins. C'est la méthode scientifique et non pas la méthode clinique qui est prédominante…/ En France, où l'art de la clinique est si développé, il serait sans doute bon que la recherche médicale scientifique ne s'écarte pas trop de la tradition, afin que celle-ci puisse faire profiter la médecine scientifique des résultats auxquels la clinique arrive, mais par d'autres moyens » ( ‘Rapport sur l'activité de la mission scientifique française en Grande-Bretagne, fin aout 1944, fin déc. 1945 ‘. Arch. CNRS, AN 28 483 - 80).
Les années 1950, la réforme hospitalo-universitaire
Les cliniciens ne l'entendent pas de cette oreille. Le pédiatre Robert Debré, une sommité médicale qui dirige le service de pédiatrie de l'hôpital Necker-Enfants malades, a élaboré sous l'occupation une réforme de l'enseignement médical. Préparé dans la Résistance, inspiré par les dispositions d'Abraham Flexner aux Etats-Unis en vue d'intégrer les fonctions de soins, d'enseignement et de recherche (bedside teaching by full time practitioners), à la Libération il présente à l’Assemblée consultative le projet de doter l'hôpital d'un corps d'enseignants praticiens à plein-temps. Simultanément, alors que les ordonnances Laroque installent la Caisse nationale de sécurité sociale - que Debré appelle d'ailleurs de ses vœux -, le praticien exprime le souhait que cette avancée ne s'opère au détriment de la clinique : « quelle que soit l’organisation économique de la société – et le progrès à cet égard est indispensable et urgent -, il apparaît qu’elle ne doit pas troubler le colloque singulier entre le médecin et le malade".
Conséquence d'une rivalité endémique entre les corps sanitaires et universitaires, une dizaine d’années se passent avant que ne débutent les débats sur la réforme des études médicales. L'événement décisif est le colloque de Caen en octobre 1956 avec la modernisation des facultés de médecine. Fort du soutien de la Direction des enseignements supérieurs, Debré obtient l’installation d’un ‘Comité interministériel de l’enseignement médical, des structures hospitalières et de l’action sanitaire et sociale’ qui réunit ses confrères Jean Dausset et René Fauvert des inspirateurs de la réforme hospitalo-universitaire, Louis Bugnard le directeur de l’INH, le dr. Xavier Leclainche celui de l’Assistance publique parisienne (AP-HP), Eugène Aujaleu le directeur général de la Santé (DGS), Clément Michel de la Fédération nationale des organismes de sécurité sociale (F.N.O.S.S.) et les doyens des facultés de médecine, Léon Binet (Paris), Gaston Giraud (Montpellier), Henri X. Hermann (Lyon), René Fontaine (Strasbourg). «Dans le domaine de la recherche (médicale) dit Debré, la France se trouve dans une situation humiliante, malgré les efforts du CNRS et de l’INH.../ Il (nous) conviendra de porter remède au malaise des praticiens qui, absorbés par leur tâche quotidienne ont des difficultés pour faire profiter leurs patients des progrès de la médecine et manquent parfois de l’équipement nécessaire …/ De nombreux pays ont ressenti depuis quelques années la nécessité de rénover leur enseignement médical pour le mettre en harmonie d'une part avec le caractère de plus en plus scientifique de la médecine et, d'autre part, avec les conditions nouvelles d'exercice professionnel, liées à la fois à l'évolution technique et aux transformations économiques et sociales des états modernes. L'Organisation Mondiale de la Santé et l'UNESCO se sont préoccupés de ce problème qui a fait l'objet d'une conférence internationale à Londres en 1953. Mais une solution est sans doute plus urgente en France qu'ailleurs parce que nous vivons encore dans ce domaine sur les principes posés au début du dix-neuvième siècle ! » Les deux années suivantes sont riches de discussions portant sur la réorganisation de l'enseignement avec la mise en place d’un troisième cycle universitaire. L’unification des carrières est censée «...réduire la concurrence stérile entre l'enseignement facultaire et les concours hospitaliers ». Au sein du comité interministériel, Debré peut compter sur le soutien actif du directeur des enseignements supérieur, sur celui de la Santé, sur le dr. Victor P. Le Gorgeu rapporteur du programme d’équipement hospitalier du troisième Plan, ainsi que sur les syndicats étudiants. En revanche, d’âpres contestations proviennent du mandarinat médical, notamment des doyens des facultés de médecine qui entrent en sédition. Jean Dausset envoyé en missi dominici présenter la réforme dans les facultés de province se fait huer; à Paris, le doyen Binet dénonce : «le discrédit jeté par le Comité sur l’enseignement médical français »...
Comme lorsque les ordonnances Laroque avaient créé la Sécurité sociale en 1945, Michel Debré, le premier Ministre de le V° République et fils du promoteur de la réforme, profite des vacances parlementaires lors de la mise en place des nouvelles institutions pour publier l'Ordonnance du 30 décembre 1958 relative à la création de Centres hospitaliers et universitaires (CHU), à la réforme de l’enseignement médical et au développement de la recherche médicale. L'ordonnance et ses décrets d'applications installent un corps de professeurs hospitaliers à plein temps (PU-PH), chargé en principe d'assurer la triple fonction de soins, d'enseignement et de recherche. Cependant, faute des moyens budgétaires fournis par l'Education nationale, la réforme n'a pu faire la place souhaitée à cette dernière.
Les néo-cliniciens dans leurs entreprises
Dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, la relation de la médecine et de la biologie est devenue l'enjeu majeur d'une politique scientifique. A la direction de l'INH, Louis Bugnard un professeur de biophysique qui a succédé à André Chevallier crée un dispositif de bourses pour permettre à de jeunes internes comme Maurice Tubiana de s'initier outre-Atlantique aux arcanes d'une 'biomedicine' en plein essor. Au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), l'un de ses protégés, Jean Coursaget développe l'usage des marqueurs isotopiques. Correspondant de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Bugnard participe à l'étude des retombées atmosphériques provoquées par les explosions atomiques russes et américaines et il installe au Vésinet un 'Service de contrôle pour les radiations ionisantes' (Pr. Pellerin). Mais la modicité du budget alloué à l'INH (50 MF courants 1947) ne représente que 5% des sommes consacrées par le CNRS aux sciences de la vie ou une part minime du budget de l'Institut Pasteur.
Simultanément, un groupe de néo-cliniciens animés par l'esprit de la recherche, Jean Hamburger, Jean Bernard, René Fauvert, Georges Mathé et certains de leurs confrères réunis au sein d'un informel 'club des treize' s'affirment soucieux d'installer des laboratoires en physiologie, en biochimie, en biophysique, susceptibles d'ouvrir de nouvelles voies à la thérapeutique. Ils s'intéressent moins aux maladies infectieuses, en voie d'éradication disent-ils grâce à la révolution des antibiotiques, qu'aux 'maladies des matériaux' que représentent, selon le mot d'Hamburger, les néphrites, les cancers ou les maladies cardiovasculaires. Avec son confrère Jean Bernard, Jean Hamburger crée une Association pour la recherche médicale efficacement abondée par l'industrie sucrière. Devenue fondation en 1962, la 'FRM' est restée très active jusqu'à nos jours pour soutenir la recherche en pathologie via un dispositif d'aides individuelles à des médecins-chercheurs. Simultanément, à l'Assistance publique parisienne (AP-HP), le dr. Xavier Leclainche son directeur, son secrétaire général Alphonse Gardie et le pr. Raoul Kourilsky de l'hôpital Saint-Antoine installent en concertation avec l'Institut national d'hygiène une Association Claude Bernard (ACB) destinée à introduire la recherche de laboratoire dans les hôpitaux de l'AP-HP. Avec l'INH, l'ACB constitue ainsi la matrice de l'Inserm dans lequel elle sera absorbée plus tard.
Les premiers centres de recherche installés par l'ACB et l'INH (devenus ensuite unités Inserm)1952, C. de nutrition et de diététique humaine (Trémolières à Bichat) deviendra première unité de recherche Inserm (U 1) De 1956 à 1959 CR sur l'insuffisance rénale de Jean Hamburger à Necker (U 25) De 1960 à 1962 C. Cancer de Boulanger au CHU de Lille (U 16) |
Les années 1960, l'installation de l'INSERM
Avec le retour du général de Gaulle aux affaires, la V° République soucieuse de donner une nouvelle impulsion à la modernisation du pays réunit une assemblée d'experts, un Comité des Sages (CCRST) épaulé d'un exécutif, la 'Délégation à la recherche scientifique et technique' (DGRST). Le doublement du budget public de la recherche permet à la DGRST de lancer des 'actions concertées' dont de manière significative, une majorité concerne les sciences de la vie : neurophysiologie et psycho-pharmacodynamie, nutrition, applications de la génétique, cancers et leucémies', confiée au pr. Jean Bernard, et surtout un action biologie moléculaire dont le pilotage est assuré par Jacques Monod, l'un des lauréats du prix Nobel de 1965 avec André Lwoff et François Jacob.
Source : Notes et Etudes doc., D. F., 1965
D'un autre côté, l'administration se penche sur le fonctionnement des organismes historiques pour constater que l'INH n'a su répondre aux nouvelles orientations de la recherche, voire qu'il n'a pu procéder à l'aménagement des carrière de médecins-chercheurs tels que l'a préconisé la réforme de 1958. Le démembrement de l'INH est suggéré et ses restes pourraient être partagés entre le CNRS qui récupérerait ses activités de laboratoire et le ministère de la Santé ses fonctions en matière de santé publique. En fait, la transformation de l'INH en Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) opèrée en 1964 procède du souci de la Santé de ne pas se laisser déposséder de ses prérogatives scientifiques, mais elle traduit aussi la préoccupation des néo-cliniciens de s'incrire dans l'essor de la 'médecine moléculaire' évoquée par Jean Bernard. Maintenu sous la tutelle du ministère de la Santé et sur les conseils du cancérologue Georges Mathé, un décrêt du 18 juillet 1964 installe l'Inserm dont la direction est confiée à Eugène Aujaleu, l'ex-directeur général de la Santé. Inscrit dans la nouvelle organisation de la recherche publique, l'Inserm' est chargé d'assurer la relève des programmes de la DGRST prévus au Vème plan et il lance un programme d'équipement de laboratoires, dont la moitié en province dans les Centres hospitaliers universitaires (CHU) et régionaux (CHR). Le nouvel organisme est doté d'un conseil scientifique et de treize commissions scientifiques spécialisées (CSS) dont l'agencement traduit la priorité désormais accordée la médecine moléculaire, l'épidémiologie et la médecine préventive se voyant reléguées en fin de nomenclature. Les événements de 1968 contribuent pour leur part à assouplir les relations de la clinique et de la recherche.
Les années 1970, l'age d'or de la médecine moléculaire
Inscrite dans l'héritage du pasteurisme et nourrie des voies de la biologie moléculaire, fortifiée par l'essor des biotechnologies, l'immunologie est devenue le nouveau langage de la médecine décrit par Anne-Marie Moulin. Le Centre Hayem de l'hôpital Saint-Louis essaime pour donner naissance aux laboratoires de Maxime Seligmann (U Inserm 108 'immunochimie et immunopathologie') ou de Jean Dausset (U Inserm 93 Immunogénétique de la transplantation) qui aboutit à l'identification du système d'histocompatibilité 'Human Leucocyte Antigene' (HLA) récompensé par le Nobel de 1980, puis à ses applications en matière de greffes d'organes. A l'hôpital Cochin Jean-Paul Lévy un élève de Jean Bernard crée l'unité Inserm 152 'Immunologie et oncologie des maladies rétrovirales' pour donner naissance à l'Institut Cochin de génétique moléculaire' (ICGM). Georges Mathé installe son Institut de cancérologie et d'immunogénétique (ICIG) à l'hôpital Paul Brousse de Villejuif. A Necker, Jean-François Bach prend la succession de Jean Hamburger au sein d'un laboratoire consacré aux maladies auto-immunes, à leur mécanisme génétique et à leur traitement (U. Inserm 25). En endocrinologie, les travaux d'Etienne-Emile Baulieu en chimie des stéroïdes débouchent sur un antiprogestérone de synthèse, le RU 486, la pilule anti-conceptionnelle du deuxième jour.
Résultat d'une politique de décentralisation menée en coopération avec le CNRS, des grands instituts sont installés en coopération avec l'industrie pharmaceutique. A Strasbourg, le 'Centre de recherche sur la biochimie de la cellule cancéreuse' de Paul Mandel donne naissance à l'Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC) de Pierre Chambon, tandis qu'à Marseille François Kourilsky et Michel Fougereau créent le Centre d'immunologie de Marseille Luminy (CIML). Dans ce campus scientifique dédié au système immunitaire et au développement des marqueurs génétiques, la découverte des premiers anticorps-monoclonaux conduit à la création d'une des premières 'start-up' françaises en 1969, 'Immunotech'. Comme ces développements s'inscrivent dans un contexte international, l'Inserm internationalise l'usage de la documentation scientifique en passant une convention avec la 'National Library of Medicine' américaine (Medline). En 1974, dans le cadre d'un accord inter-gouvernemental, l'Inserm devient un partenaire du 'National cancer program' lancé par l'administration Nixon aux Etats-Unis.
Les années 1980, les 'assises de la recherche'
En 1981, avec l'élection de François Mitterrand, la Gauche accède au pouvoir pour la première fois sous la Vème République. Le pasteurien François Gros et Philippe Lazar de l'Inserm sont chargés d'organiser les Assises de la recherche. Les débats animés par la communauté scientifique révèlent son souci de privilégier la liberté de la recherche plutôt que sa programmation. Les chercheurs dénonçent le 'pilotage par l'aval', soi-disant préjudiciable à la recherche fondamentale, tel qu'il a été mené au CNRS au cours de la précédente décennie. Détaché de la Santé et pour être rattaché à la Recherche, l'Inserm dirigé par Philippe Lazar, doté d'un statut d’établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST) procède à un important recrutement de chercheurs non-médecins, trois quart de l'incrémentation de postes pourvus dans les années 1980. Les dispositifs de programmation scientifique (ATP, PIR, etc.) sont abandonnés, dès lors que l'Inserm privilégie la liberté d'orientation de petites équipes de chercheurs ('small is beautiful'). Cependant, force est de constater que les choix opérés ont suscité d'incertaines hypothèses scientifiques et surtout engendré des difficultés d'adaptation aux évolutions de la conjoncture scientifique.
Ainsi l'apparition d'une nouvelle maladie infectieuse, le sida prend l'organisme à contrepied. En 1981, à l'instigation d'un groupe de cliniciens hospitaliers, Willy Rozenbaum, Jacques Leibowitch, l'identification du rétrovirus responsable du sida est réalisée à l'Institut Pasteur (Nobel 2008 de Luc Montagnier et Françoise Barré Sinoussi). Puis, de nouveaux protocoles thérapeutiques et la surveillance de l'épidémie sont confiées à de nouveaux opérateurs, un 'Institut de veille sanitaire' (aujourd'hui 'Santé Publique France') et une 'Agence nationale de recherche sur le sida' (ANRS). Sous la direction de Jean-Paul Lévy, l'ANRS est appelée à jouer un rôle majeur dans la mise au point des traitements anti-rétroviraux via une efficace coopération interorganismes (Inserm, Pasteur, CNRS, CHU-CHR, etc.). Le même décalage se vérifie en matière de génomique. Lancé aux Etats-Unis au milieu des années 1980 le 'Human Genome Program' (HGP) est l’archétype d'un programme de 'Big Science' dans les sciences de la vie. Comme il requiert d'importants moyens de fonctionnement, cette sujétion dissuade l'Inserm d'y apporter sa contribution directe. En France, l'initiative en la matière revient donc au 'Centre d'étude du polymorphisme humain' (CEPH), une fondation de droit privé installée en 1984 à l'hôpital Saint-Louis par Jean Dausset et Daniel Cohen. Le CEPH est bientôt relayé par l'’Association française contre les myopathies’ (AFM) dont le président, Bernard Barataud, jouera un rôle crucial dans l'installation d'un ensemble de laboratoires dédiés à la génomique, le Généthon, dont est issu un Groupement d'intérêt public (GIP), le Génopole d'Evry.
Les années 1990, la médecine 'translationnelle'
A la fin du vingtième siècle, le rapprochement de la biologie moléculaire et de la médecine est devenu un axe incontournable des sciences de la vie. On parle désormais de médecine 'translationnelle', un terme d’origine anglo-saxonne pour désigner le transfert des avancées de la recherche vers les applications cliniques. L'Inserm s'inscrit dans cette évolution, comme lorsque le cardiologue Pierre Corvol installe les Centres d'investigations cliniques dans les les CHU. De leur côté, le ministère de la Santé et la direction de l'Assistance publique ont participé au mouvement en lançant un 'Programme hospitalier pour la recherche clinique' (PHRC), tandis qu'en 1996 le retour des cliniciens à la direction de l'Inserm s'inscrit dans la nomination à sa tête de Claude Griscelli, puis de Christian Bréchot, deux PU-PH de l'hôpital Necker-Enfants malades où Alain Fischer et Marina Cavazzano réalisent une première génothérapie réussie. C'est là que Claude Griscelli et ses confrèrent installent l'Institut des maladies génétiques (IMAGINE). "J'ai toujours été surpris de constater à quel point certains confrères et non des moindres continuaient de manifester une certaine condescendance vis-à-vis la recherche clinique constate Griscelli. Assez hostile à l’esprit clinicien, Philippe Lazar s’était davantage éloigné de la recherche clinique que ne l'avaient déjà fait ses prédécesseurs. Pour moi, en tant qu'hospitalo-universitaire, le malade a toujours été au cœur de mes réflexions et je regrettais que l’Inserm passe à côté de ce qui constituait l'une de ses missions fondamentales.../ En fait, j'ai toujours déploré le fossé persistant entre les fondamentalistes et les médecins, une dichotomie alimentée par un mépris réciproque qui me consterne. Je sais bien que certains médecins ont choisi d'être de purs chercheurs. Mais si je respecte leur choix, je regrette qu'ils n'aient pas choisi la même voie qu’Alain Fischer ou qu'Arnold Munnich qui ont accepté d’être chercheurs en même temps que PU-PH. Je suis convaincu qu'il n'y a nul besoin d'avoir un Q.I. exceptionnel pour cela. L'essentiel, c'est la motivation". Le rééquilibrage de la recherche médicale vers la clinique s'opère grâce aux 'Missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation' (MERRI) dotées d'un budget conséquent par le ministère de la Santé. Selon 'Thomson - Reuters', un système d'évaluation international, les effets de cette reprise en mains peuvent s'apprécier avec le score atteint par la France en matière de recherche médicale et sanitaire.
Les années 2000 entre génome et virus, clinique et établissements scientifiques
Au début du XXI° siècle, le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) veut donner une nouvelle impulsion à la recherche médicale. Créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour promouvoir l'énergie nucléaire et les technologies qui l'accompagnent, cet établissement a su marier la recherche scientifique et le progrès technique au profit de la physique nucléaire et en particulier de ses applications biologiques. Alors que s'achèvent ses programmes d’équipements civils et militaire, en 1990 André Syrota a pris la direction de son département des sciences du vivant (DSV-CEA) où il ouvre de nouveaux instituts comme ‘Neurospin’ pour l'imagerie fonctionnelle, l'Institut de Génomique' qui prend la tutelle du Génopole d’Evry ou l''Institut des maladies émergentes et des thérapies Innovantes' de Fontenay-aux-Roses pour les génothérapies. En 2005 au ministère de la Recherche, le chimiste Bernard Bigot confie à Gilles Bloch qui fut le collaborateur de Syrota au DSV-CEA, le soin de créer une Agence nationale de la recherche (ANR) en vue d'assurer la tutelle des différents établissements publics (CEA, CNRS, INRA, INRIA, Inserm, etc.). De son côté, André Syrota se voit proposer en 2007 la direction de l'Inserm. Parmi les différentes voies évoquées pour moderniser cet établissement, entre le maintien du statut quo et l'hypothétique projet d'un institut national des sciences de la vie, lui et son adjoint Thierry Damerval choisissent d'ouvrir une 'Alliance pour les sciences du vivant et de la santé' (Aviesan), théoriquement censée coordonner l'activité de l'ensemble des établissements scientifiques et des centres hospitalo-universitaires.
Cependant, les cliniciens envisagent d'autres modes de développement pour la recherche médicale et ils installent des 'instituts hospitalo-universitaires' (IHU) dans l'esprit de la réforme Debré, dotés de moyens budgétaires d'une toute autre ampleur que ceux arrêtés un demi-siècle plus tôt (cf. ci-dessus l''enveloppe MERRI'). Organisés sur le modèle d'IMAGINE, six 'IHU' disposent d'un statut de fondation qui leur permet de s'associer aux autres opérateurs de l'espace sanitaire.
Les premiers Instituts hospitalo-universitaires en 2010 IMAGINE : Institut Hospitalo-universitaire Imagine ( Pr Alain Fischer- AP-HP-CHU Necker) |
Au printemps 2020, une nouvelle pandémie surgie en Chine soumet la recherche à de nouvelles tensions et illustre la réactivité de la 'clinique', face à l'inertie des établissements scientifiques. A côté du pas de clerc du pr. Raoult au 'POLMIT' de Marseille, à l'instigation du Président de la République, les cliniciens installent un 'Conseil scientifique covid-19' animé par J-F Delfraissy du CHU Bicêtre et Y. Yazdanpanah du CHU Bichat. En l'absence de vaccins disponibles, cette instance préconise un certain nombre de mesures prophylactiques, masques, gels antiseptiques et surtout des mesures de confinement qui révèleront leur efficacité dans l'attente d'une vaccination efficace. En revanche, du côté des grands organismes la situation s'avère plus problématique. Les mécomptes de l'Institut Pasteur dans la mise au point d'un vaccin trahissent une sorte de déclin de cet organisme en matière d'infectiologie, une discipline qui constituait pourtant son pôle d'excellence. Quant à l'Inserm, un rapport de la Cour des comptes (2022) avance que ses défaillances face à l'épidémie de covid-19 tiendraient au fait que l'organisme n'aurait su opter entre ses fonctions d'opérateur de recherche et d'agence de moyens, voire de n'avoir su trouver le juste équilibre entre la recherche médicale et des technosciences en plein essor, moyennant quoi Gilles Bloch, son PDG, se voit brutalement remplacé par un PU-PH, le pr. Didier Samuel.