Robert Debré et la recherche médicale
Il y a un demi-siècle, le sociologue Haroun Jamous publiait un livre sur la réforme hospitalo-universitaire de 1958. L'auteur y posait la question : « Est-il imaginable qu’une réforme contraire aux intérêts d’une corporation qui possède un « territoire », un domaine et qui le défend, puisse être faite autrement que par une voie venant de l’extérieur…/ par un tout petit groupe, voire par un homme…?" (1). En l'occurrence, l'homme en question était Robert Debré alors à la manœuvre pour moderniser le système de santé français. Mais un autre élément devait jouer dans l'affaire soulignait récemment Patrice Pinell : "La démarche sociologique ne peut se réduire, uniquement, à des questions d’intérêt ou de position sociale. Il est clair qu'un certain nombre d’intérêts sont d'ordre professionnel, mais (que) d'autres sont cognitifs et (que) les deux ordres sont indissociables". Poids politique et compétences scientifiques, cette double condition semble s'appliquer à Robert Debré, le premier à avoir installé des laboratoires de recherche à l'hôpital pour devenir ensuite le principal artisan de la réforme hospitalo-universitaire.
La pediatrie, une vocation
Robert Debré (1882-1978) a évoqué sa vocation médicale dans ses mémoires, son "besoin puissant de quitter la pensée pour l’action", son éloignement des milieux intellectuels des 'Cahiers de la quinzaine' de Charles Péguy pour se consacrer à l'activité praticienne. Debré y rappelle ses contacts précoces avec les médecines étrangères, avec l'Amérique où s'opère une réforme hospitalière dont il s'inspirera plus tard, à Vienne ou pratique le pédiatre Klemens v Pirquet, à Strasbourg au lendemain de la grande guerre où il découvre le plein-temps hospitalier à l'allemande. La pédiatrie choisie dès le début de son cursus est une spécialité qui le conduit à la recherche, ce dont il s'explique dans ses mémoires."Dans son essence même, la médecine d'enfants est différente des autres médecines.../ L'enfant est un être à part et point un adulte en miniature (caractérisé) par la complexité de son évolution.../ Comment distinguer à chaque moment l'influence du milieu et celle de l'hérédité?.../ Si l'on voulait prendre la pédiatrie à bras le corps ( le titre même d'un chapitre), il fallait se convaincre que l'examen clinique à lui seul ne peut permettre d'y voir clair. …/ Cela nous permettait de concevoir la pédiatrie comme la science du développement du petit de l'homme" (2). Sa vigilence scientifique le distingue du conservatisme du milieu médical de l'époque. A l’hôpital Bretonneau ses premiers travaux concernent la tuberculose infantile. Avec son confrère Maurice Letulle, il démontre qu'il ne s'agit pas d'une maladie héréditaire. En contacts avec l'Institut Pasteur, il suit de près les progrès de la microbiologie. Il assure auprès d'Albert Calmette les premiers essais cliniques du vaccin B.C.G. et il participe à la mise au point d’un test de dépistage, la cuti-réaction. En 1948 avec l'essor des antibiotiques, il lancera les premiers essais cliniques réalisés avec la streptomycine, alors qu'il faudra encore un demi-siècle en France pour généraliser ce type de procédures. Dans les années 1930, lorsque Charles Nicolle montre que le sérum de convalescence-rougeole a une action préventive, Debré installe un centre de sérothérapie à l'Hôpital des Enfants malades. Il a d'étroits contacts avec Gaston Ramon, un vétérinaire qui a mis au point les vaccins anti-diphtérique et anti-tétanique à l'Institut Pasteur de Garches.
L'hôpital des Enfants-malades
Au début des années 1930, fraichement élu à l'Académie de médecine, Robert Debré est nommé patron du service de pédiatrie à l'Hôpital des Enfants-malades. Il évoque alors le lien indispensable de la clinique et de la recherche, celui qui permet à la médecine de bénéficier des plus récentes avancées des sciences de la vie. "Aux Enfants-malades, une de nos décisions les plus importantes concernait les laboratoires. Je décidais de leur donner une place éminente. Déjà à l’époque nous protestions contre cette expression qui n’est que trop significative, d’examens complémentaires en laboratoire, comme s’ils étaient un supplément facultatif à l’étude clinique de l’enfant alors qu’ils constituent dans la médecine moderne un examen fondamental, ce qui n’autorise point à négliger le contact direct du petit patient et l’examen raffiné du clinicien.../ Ainsi il m'apparut bien vite que les malformations congénitales avaient une importance majeure et que l'on négligeait trop? Pour les comprendre, il fallait s'initier à la génétique humaine, science alors naissante, et à l'embryologie » (3). Une subvention de 25 000 US$ des fondations américaines, (Josiah Macy, Rockefeller) lui permet d’ouvrir des laboratoires et d'obtenir des bourses. L'un des premiers bénéficiaires, Maurice Lamy se consacre à l'étude des jumeaux pour étudier ces malformations congénitales. Il lui revient d'avoir introduit la génétique mendélienne à la clinique dès 1941, puis d'inaugurer la chaire de génétique médicale à la faculté de médecine. Le laboratoire de l'hôpital Necker Enfants-malades devenu 'Unité de recherche 12' de l'Inserm, co-dirigée par Maurice Lamy et Jean Frézal, accueillera des chercheurs comme Pierre Maroteaux et Jean de Grouchy, plus tard Arnold Munnich l'un des fondateurs d'IMAGINE, la Mecque de la génomique médicale. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Robert Debré a confié à l'un de ses internes Georges Schapira, l'implantation d'un laboratoire de biochimie dans les sous-sols du service de pédiatrie et pour financer ce qui deviendra l''UR 15 Inserm', il créé la SESEP. C'est là qu'avec Jean-Claude Dreyfus, Georges Schapira se consacre aux processus pathologiques en termes moléculaires, notamment dans les hémoglobinopathies. Bien que coupé de la clinique, ce que déplore Debré, ce laboratoire a contribué à former une génération de médecins-chercheurs, Jean Rosa, Jean-Claude Kaplan, Dominique Labie ou Jean Demos le fondateur de l''Association française contre les myopathies'. Ainsi l'hôpital des Enfants-malades a été le creuset de ce que Jean Bernard qualifiera plus tard de 'médecine moléculaire'
Que faire de la recherche médicale?
A la Libération, le directeur du CNRS, Frédéric Joliot-Curie, a confié au pasteurien André Lwoff l'organisation de la fabrication de pénicilline en France. A cette occasion, celui-ci explique pourquoi il conviendrait, selon lui, de démédicaliser la recherche médicale : « il ne saurait être question pour des raisons pratiques de considérer l'étude scientifique des agents des maladies infectieuses humaines comme une branche de la médecine. La recherche dit Lwoff ne se développera efficacement que dans les laboratoires ou même dans des instituts spécialisés.../ le fait que la microbiologie n'est pas enseignée dans les facultés des sciences, mais dans celles de médecine par des professeurs qui ne sont pas des spécialistes a conduit la microbiologie française vers une crise très grave » (4)
Les cliniciens ne l'entendent évidemment pas de cette oreille. Au sein du 'Comité médical de la Résistance' Robert Debré a élaboré le projet d'une réforme de l'enseignement médical, inspiré des dispositions introduites par Abraham Flexner en Amérique du nord où l'adoption du 'bedside teaching by full time practioners' a permis l'essor d'une 'biomedicine' grâce au soutien de grandes fondations scientifiques (Carnegie, Rockefeller). En France, Debré est convaincu que l'adoption de la trilogie flexnérienne 'soins-enseignement-recherche' est nécessaire à la modernisation du système de santé. Si les ordonnances Laroque installent la Sécurité sociale qu'il appelle d'ailleurs de ses vœux, il exprime le souhait que cette avancée ne s'opère pas au détriment de la clinique : « quelle que soit l’organisation économique de la société – et le progrès à cet égard est indispensable et urgent -, il apparaît qu’elle ne doit pas troubler le colloque singulier entre le médecin et le malade" (5). En novembre 1945, il rencontre le dr. Alan Gregg, le patron de la 'Medical Science Division' de la Rockefeller. La Fondation semble envisager un programme de constructions d’hôpitaux dans les régions dévastées par la guerre, mais Debré exprime d'autres vues sur l’utilisation de cette aide car il souhaite relancer le système de bourses (fellowships). Il déclare à son interlocuteur, «je souhaiterais pouvoir envoyer des boursiers chez vous, moins pour la formation technique que vous pourrez leur donner que parce que vous leur inculquerez le bon esprit de réforme.../ (Mais) j’estime que notre formation clinique est satisfaisante, bien que, je vous l’accorde, des réformes soient encore nécessaires dans les sciences biologiques ou pour introduire davantage la recherche à l’hôpital. Mon souhait serait d’ailleurs de généraliser le plein temps hospitalier, votre fameux ‘Full-Time’, à l’ensemble de nos hôpitaux » (6)
A la présidence de l'Institut Nationale d'Hygiène (INH) et avec son directeur Louis Bugnard, Robert Debré met en place un système de bourses. En 1947, avec le soutien du cardiologue André Cournand son ancien interne qui a fait carrière au ‘Bellevue Hospital’ de New-York (Debré essaiera en vain de le faire nommer au Collège de France), l'INH ouvre un ‘Fond de soutien pour la recherche médicale française’. Parmi les premiers bénéficiaires, un élève de Debré Alexandre Minkowski un spécialiste de la néo-natalité, Constant Burg et Philippe Laudat deux futurs directeurs de l’Inserm, les cancérologues Maurice Tubiana, futur patron de l'Institut Gustave Roussy, et Georges Mathé qui jouera un rôle crucial dans l’installation de l’Inserm. Mais ce dispositif se heurte au problème de la patente médicale, c'est-à-dire à l'interdiction des cumuls entre la pratique libérale et le salariat propre au monde hospitalier. A l'INH on est divisé par la modicité des allocations fournies aux médecins-chercheurs, si Debré et Bugnard demandent d’atténuer les rigueurs de la loi, au conseil scientifique André Chevallier le fondateur de l'organisme et Jacques Parisot l'ancien doyen de la faculté de Nancy estiment au contraire qu’il convient de rester ferme pour éviter les abus (7).
1956, un tournant pour la recherche
L'année 1956 est un véritable tournant dans l'histoire de la recherche médicale. A l'Assistance publique parisienne, Jean Bernard, Jean Hamburger, René Fauvert, Georges Mathé et quelques confrères, s'intéressent moins aux maladies infectieuses en voie d'éradication grâce à la révolution antibiotique qu'aux 'maladies des matériaux' que sont les néphrites, les cancers ou les maladies cardiovasculaires. Ces néo-cliniciens se réunissent au sein d'un informel groupe des treize et ils créent une Fondation pour la recherce médicale (FRM). En 1956, Xavier Leclainche et Alphonse Gardie, le directeur et le secrétaire général de l'Assistance publique parisienne (AP-HP), inaugurent une Association Claude Bernard (ACB) destinée à introduire des laboratoires dans leurs service hospitaliers, parmi lesquels le Centre de génétique médicale de Maurice Lamy et celui sur l'insuffisance rénale de Jean Hamburger à l'hôpital Necker, celui de recherche sur les maladies du sang et les leucémies de Jean Bernard à Saint-Louis, sur les recherches biologiques néonatales d'Alexandre Minkowski à Cochin, etc. des laboratoires qui deviendront les premières 'unités de recherche' de l'Inserm.
Simultanément, un colloque national sur la recherche et l'enseignement scientifique est organisé en novembre à Caen par un groupe de scientifiques mendésistes, le mathématicien André Lichnerowicz, le pasteuriens Jacques Monod et l'hématologue Jean Dausset. Debré, Fauvert et Dausset y exposent les problèmes de la recherche médicale : "le CNRS et l'INH n'offrent que des perspectives de carrière médiocres…./ l'inadaptation à la recherche des organisations hospitalières. Certes il existe l''Association Claude Bernard', mais aucune solution d'ensemble ne sera possible tant que n'aura pas été réalisé le plein-temps hospitalier. Il importerait donc de créer un organisme directeur central chargé de la recherche médicale en France, un commissariat multi-tutelles attaché à la présidence du conseil, disposant d’un budget propre abondé par l'industrie pharmaceutique, comme en Allemagne, en Suisse, ou aux Etats-Unis". Mais si selon Dausset, "ce colloque était très important, ce n'est pas lui qui a déclenché l'affaire puisque nous avions déjà créé notre commission de réforme de la médecine. Pour cela, il nous fallait un grand patron et Guy Vermeil, un pédiatre, nous a signalé que Debré avait déjà écrit sur la réforme, mais je n'ai découvert ses écrits de 1945 que très tard. Nous avions aussi l'idée de prendre Pierre Mollaret, très administratif, très pointilleux. Mais comme nous avons voté à bulletins secrets, c'est Robert Debré qui fut choisi. On s'est donc rendu en délégation rue de l'Université (à son domicile), j'étais le porte-parole du groupe pour lui expliquer notre plan. Il nous a presque embrassé en nous appelant ses " cadets ", il allait avoir 72 ans, l'âge de la retraite, mais il a pris les choses en main de manière fantastique. Il est évident que nous n'aurions pas abouti sans (son) aide ".
Le comité interministériel et la réforme hospitalo-universitaire
A l'initiative de René Billières, le ministre de l'Education nationale, un décrêt du 18 septembre 1956 installe un ‘Comité interministériel d'étude des problèmes de l'enseignement médical, de la structure hospitalière et de l'action sanitaire et sociale’. Sous la présidence de Debré, des réunions mensuelles sont organisées, parfois plus fréquemment, où les discussions sont menées tambour battant au cours des deux années suivantes. Jean Dausset se préoccupe de la recherche médicale et propose la création d'un doctorat de 3° cycle, le gastro-entérologue René Fauvert prépare les modalités de la fusion hospitalo-universitaire. Le dr. Eugène Aujaleu le directeur général de la santé est un participant particulièrement actif , comme le dr. Leclainche de l'AP-HP. Robert de Vernejoul y représente l'Ordre national des médecins et Clément Michel la Fédération nationale des organismes de Sécurité sociale. Mais ce comité est aussi le théatre de débats houleux, en particulier lorsque les doyens des facultés de médecine s'élèvent contre la mise en cause de la double voie du cursus entre facultés de médecine et concours hospitaliers. Début 1958, surgit une véritable fronde des doyens. Henri Hermann celui de Lyon s'indigne : «il ne s'est pas passé une seule séance sans que ce qui s'accomplit actuellement dans nos facultés ne soit critiqué, amenuisé, parfois ridiculisé ». Celui de Paris, Léon Binet redoute une scission entre enseignants et chercheurs au sein des facultés de médecine : "faut-il pour que s'accomplisse (la réforme) que les hommes de laboratoire travaillent dans un hôpital et n'est-il pas préférable, plus encore indispensable, qu'ils conservent l'autonomie, je dirais presque la liberté qui est actuellement la leur. A-t-il fallu cette réunion hospitalière pour que s'accomplissent les plus grandes découvertes médicales de ces cent dernières années?" Et il évoque l'exemple de Claude Bernard au Collège de France ou de Louis Pasteur à l'institut éponyme. Quant à Gaston Giraud à Montpellier, il fustige des décisions imposées à la province par le centralisme parisien. A l'Académie de médecine, René Moreau redoute «que la réforme de l’enseignement hâtivement appliquée nous apporte les mêmes déceptions et que médecins et professeurs devenus fonctionnaires de l’Education nationale, subissent un jour la loi féodale (sic) de la sécurité sociale » (8).
Jean Dausset envoyé défendre le projet dans les facultés de médecine où il se fait sérieusement houspiller, évoque le compromis imaginé par Debré pour mettre les opposants dans sa poche : "on le sait, tous les professeurs des facultés de médecine allaient devenir plein-temps hospitaliers, donc on leur enlevait leur clientèle. Debré qui connaissait bien la mentalité de ses collègues a eu la remarquable idée de leur laisser le choix de l'intégration ou non. Le résultat est que beaucoup, surtout parmi les jeunes, ont accepté (la réforme)". Se produit alors un miracle poursuit Dausset : « notre texte est passé sous forme d'ordonnance, le dernier jour des pouvoirs spéciaux du général de Gaulle" - on ne manque pas de faire un parallèle avec une situation semblable concernant les ordonnances de la Sécurité sociale en octobre 1945 -."s’il avait été discuté au Parlement, il aurait probablement été bloqué par le lobby médical, il est d'ailleurs vraisemblable que la signature de De Gaulle a été obtenue du fait que Michel Debré avait été conseillé par son père, sur le point d'être nommé premier Ministre dans les jours suivants ». L'ordonnance du 30 décembre 1958 portant création de 'Centres hospitaliers et universitaires (CHU), réforme de l’enseignement médical et développement de la recherche médicale' est suivie de décrets d'applications qui installent un corps de professeurs hospitaliers à plein temps (PU-PH). Cependant, faute des moyens budgétaires adéquats, la réforme n'a pu faire la place souhaitée à la recherche médicale. «Dans la réforme Debré, il y a deux fenêtres pleines, la faculté et l'hôpital et une fausse, la recherche relève Alphonse Gardie. Ce n'est sans doute pas de la faute de Debré (ou de Dausset), mais plutôt celle des ministères de la Santé ou de l'Education nationale qui n'ont pas accordé les crédits nécessaires au fonctionnement de la recherche dans les CHU ».
L'Inserm et la biologie moléculaire
Cette lacune est comblée par l'installation de l'Inserm lors d'une profonde refonte administrative menée au début de la V° République. Mais Robert Debré n'a eu qu'un "rôle symbolique" dans l'affaire dit Eugène Aujaleu. Le Comité des sages et la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST), lancent des actions concertées destinées à irriguer certains secteurs de la recherche où les néo-cliniciens sont aux manettes. Une 'action cancer et leucémie' est confiée à Jean Bernard tandis que Georges Mathé participe à l''action biologie moléculaire' dirigée par Jacques Monod. En 1964, la DGRST se penche sur le fonctionnement des établissements historiques. Partant du constat que l'INH n'a su s'adapter aux développements de la recherche médicale, à l'instigation de Georges Mathé et du ministre de la Santé (Raymond Marcellin), l'INH est transformé en 'Institut de la santé et de la recherche médicale ' (Inserm). Si la direction du nouvel organisme est confiée à Aujaleu, rendu disponible par son départ du ministère de la Santé, l'installation de l'Inserm révèles les solides inimitiés dont pâtit Debré pour son rôle dans la réforme hospitalo-universitaire. En janvier 1965, il est éliminé au deuxième tour des élections au conseil scientifique au profit de Jean-François Cier, le nouveau doyen de la faculté de Lyon (16 voix pour Cier, 4 pour Debré) (9).
Sous la poussée de la biologie moléculaire en développant la recherche de pointe en immunologie, l'Inserm a indiscutablement contribué à rendre son rang à la recherche française. Reste que, l'orientation de l'organisme vers les sciences fondamentales, sa 'CNRSisation' progressive, s'est opèré au détriment de la clinique. La démédicalisation de l’organisme s’appréhende dans les chiffres. Dans les années 1970, près de la moitié des chercheurs n’a pas de formation médicale et leur recrutement porte sur trois quart de non-médecins. Dès lors, la loi Edgard Faure de l'automne 1968 portant réforme universitaire suscite le constat désabusé de Debré : « sous le vocable d'autonomie, (la loi) ne peut que favoriser le corporatisme. En faisant gouverner les facultés par une assemblée, elle conduisait à l'immobilisme. Pour obtenir des réformes on ne peut compter sur un 'corps', même si l'on mélange dans ce 'corps' jeunes et vieux.... » (10). Quelques décennies plus tard, Jean Rosa rappellera les limites auxquelles s'est heurtée la réforme hospitalo-universitaire : "la recherche biologique et médicale à l'Inserm a pâti du fait qu'une partie de son personnel ne disposait pas du temps nécessaire pour l'activité de laboratoire. De plus, une incompréhension, voire une jalousie, se sont installées entre les chercheurs non médicaux plein-temps qui ne disposent que d'un salaire et les chercheurs cliniciens plein-temps qui bénéficient d’une double appartenance ".
Retour vers la clinique
Il reste qu'au tournant du XXI° siècle le retour du risque épidémique a rendu une place majeure aux cliniciens. En 2022 un rapport de la Cour des comptes impute les "défaillances de l'Inserm confronté à la pandémie de covid-19 " au fait que l'établissement n'aurait su trouver le juste équilibre entre la recherche médicale et les sciences de la vie. Confrontés au sida dans les années 1980, rappelons que les médecins hospitaliers furent les premiers à réagir avec le 'groupe auto-constitué' par Jacques Leibowitch de l'hôpital Raymond Poincarré, Willy Rozenbaum du CHU Pitié-Salpétrière et leurs confrères. De même quarante ans plus tard, la pandémie de covid-19 ressuscite les tensions entre le monde de la clinique et celui de la recherche. Face à l'inertie des grands établissements, l'Inserm, l'Institut Pasteur, les cliniciens sont les premiers à monter en ligne au sein d'un 'Conseil scientifique covid-19' animé par Jean-François Delfraissy du CHU Bicêtre et Yazdan Yazdanpanah au CHU Bichat. Ainsi, près de soixante ans après la réforme Debré, la question des relations entre la recherche et la clinique semble n'avoir rien perdu de son acuité.
Notes
- (1) Jamous, H., 'Sociologie de la décision, la réforme des études médicales et des stuctures hospitalières', CNRS eds., 1969
- (2) Debré, R., ‘L’honneur de vivre. Témoignage', Paris, Hermann,1976
- (3) Ibid. p. 273 et sq.
- (4) André Lwoff, note de 1944, Archives CNRS, AN 80 284 - 212
- (5) Debré, R., 'Médecine. Santé publique. Population', Paris, Le médecin français, 1945
- (6) Journal de Gregg (23 mars 1948). Rockefeller archives center, 1.1., 500 A, 7. 72.
- (7) INH, P-V du conseil scientifique, 11 juin 1954
- (8) Comité interministériel, la fronde des doyens, séance du 26 fév. 1958
- (9) Inserm, réunion du conseil scientifique, P-V du 23 janv. 1965
- (10) 'L'honneur de vivre', p. 417